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Les critiques de Bifrost

La Planète aux embûches

La Planète aux embûches

Clifford Donald SIMAK
J'AI LU
4,80 €

Bifrost n° 22

Critique parue en juin 2001 dans Bifrost n° 22

Peu de romans démarrent, comme celui-ci, au quart de tour. Le professeur Edward Lansing est intrigué par la rédaction remarquable d'un de ses élèves plutôt cancre, et qui se révèle brillante. Grâce à l'aide d'une…machine à sous ! N'ayant rien à faire ce week-end-là, souhaitant éviter les constants bavardages de son ami Andy sur les mondes alternatifs, et, finalement assez curieux, Lansing va voir la machine. Celle-ci, à sa profonde stupéfaction, lui parle, et lui donne une adresse. Où il se rend, de plus en plus fasciné par la tournure que prennent les évènements. Et là, dans un immeuble abandonné, il obéit aux instructions et… « Puis les lumières s'éteignirent, la machine s'évanouit et la salle aussi. Lansing était dans une vallée boisée. »

Après cette introduction en fanfare (28 pages), le roman débute vraiment. Où est Lansing ? Que fait-il là ? Pourquoi est-il là ? Comment est-il arrivé là ? Toutes questions qu'il se pose, ainsi que le lecteur. Et lentement s'élabore sa quête sur ce monde inconnu, la « Planète aux embûches » du titre. Accueilli comme un frère dans une auberge, il rencontre quatre ténébreux joueurs de cartes et fait la connaissance d'un groupe étrange et composite : un militaire, un prêtre, un robot, une poétesse et un ingénieur, tous amenés de même façon sur ce monde inconnu et venant manifestement d'autres Terres parallèles (leurs Histoires respectives divergent). Tous ignorent la raison de leur enlèvement. Ce petit échantillon d' humanité entame dès lors sa quête. Quête vers un destin ignoré… Un gigantesque cube bleu les arrête d'abord. Ils continuent leur route, sans avoir pu expliquer son mystère. Arrivés à une grande cité vide d'habitants, ils découvrent des traces d'autres visiteurs récents, mais aussi des machines bizarres et une grotte dont les hublots semblent des portes ouvertes sur d'autres mondes. L'une d'elles sera franchie par l'un d'entre eux. Constamment, ils ont l'impression d'être surveillés. Par un animal qui renifle, par une créature qui gémit dans la nuit… Poursuivant leur périple, ils tombent sur une grande tour, tout aussi étrange que le cube déjà rencontré, et tout aussi énigmatique. Une seconde auberge s'offre à leurs yeux, dans laquelle ils revoient les quatre joueurs de cartes. Ils se séparent. Lansing, accompagné de son ami Jurgens le robot, dont il a recueilli les confidences, affronte une terrifiante muraille de néant, le Chaos, titanesque cataracte nocturne, dans laquelle disparaît Jurgens, et dont Lansing, quant à lui, ne s'échappe qu'à l'aide d'une corde tendue par… les joueurs de cartes. Scène extraordinairement bien dépeinte par un Simak en grande forme. Après cette aventure éprouvante, le pauvre professeur Lansing, seul à présent, retourne vers cette Tour, là où Mary, son amie ingénieur, a disparu. L'errance continue, et il rencontrera d'autres rescapés d'autres groupes comme lui parachutés sur cette planète. Certains se résignent, et fondent une petite colonie agricole, refaisant le monde à leur façon, misérable. Lansing, obstiné, voudra savoir et, pour cela, retournera au Cube initial, sentant là l'origine du mystère. Et, en effet, en même temps qu'il y retrouvera Mary, il découvrira enfin la raison de tout ce qui lui est arrivé depuis sa rencontre avec une machine à sous parlante…

Il n'est évidemment pas possible ici de donner la raison de l'étonnant voyage du professeur Lansing. Car, comme dans tout bon roman de l'Âge d'Or, Simak expliquera les motifs de l'enlèvement du professeur (et des autres protagonistes de l'intrigue), motifs qui seront, comme on s'y attendait avec lui, profondément philosophiques mais aussi optimistes. Le lecteur s'en sera rendu compte, cette longue quête des « enlevés » n'est en fait qu'un test, qu'une épreuve, que seuls Lansing et Mary auront subi victorieusement. Le but de ce test ? À nouveau se retrouvent ici l'altruisme et la générosité de l'écrivain, ainsi qu'on a pu le voir tout au long du présent dossier. Lansing et Mary sont les nouveaux Adam et Ève d'un monde futur, attendu, et espéré meilleur… Ici, enfin, le lecteur comprendra le titre original anglais du roman : Special Deliverance. Il comprendra aussi les pressentiments du copain Andy, qui déclarait, tout au début du livre, affolé de l'évolution du monde actuel, qu'il faudrait « un cataclysme qui nous contraindrait à changer nos modes de pensée et à chercher une autre façon de vivre ». Ce cataclysme, Lansing l'aura vécu tout au long de l'intrigue et aura transformé l'essai. Ce roman superbe par son objectif, tout autant que passionnant par ses péripéties, tient de la quête initiatique, comme dans la fantasy, mais dépasse le simple cadre aventureux pour basculer dans une certaine exaltation philosophique qui ne peut qu'enthousiasmer le lecteur. Une fois l'explication finale dévoilée, il retournera vers les pages parcourues, et les lira avec l'œil de celui qui a compris, en un jeu rempli de connivence avec l'auteur, souriant avec lui, et confiant. Tout Simak est là.

Bruno PEETERS

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