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Les critiques de Bifrost

La carte du temps

La carte du temps

Félix J. PALMA
POCKET
731pp - 10,80 €

Bifrost n° 71

Critique parue en juillet 2013 dans Bifrost n° 71

Andrew Harrington est un jeune homme bien de son temps. Pur produit de la haute société victorienne, il en méprise les codes mais finance son libertinage grâce à la rente que lui verse son père détesté. Il ne serait qu’un rouage défectueux, momentanément décadent, une pièce mécanique attendant d’être huilée pour s’emboîter dans la machine sociale, s’il ne tombait amoureux de Marie, prostituée jeune et jolie, ce qui n’est pas banal dans l’East End. S’en suivent de beaux tableaux sous la plume de Palma, qui connaît son affaire. Las, Marie est assassinée chez elle par Jack l’Eventreur. Andrew verse dans une profonde dépression, d’un romantisme morbide dans la manière de l’époque, jusqu’à ce que son cousin Charles, anciennement compagnon de débauche, mais depuis rangé des fiacres, ne porte à sa connaissance la raison sociale de l’agence Murray : rien moins que voyager dans le temps. Andrew comprend aussitôt le bénéfice qu’il pourrait tirer de pareille découverte, et va dès lors s’employer à sauver Marie du scalpel de l’Eventreur.

La lecture du roman donne lieu à un avis mitigé, selon qu’on s’en remet à la forme ou au fond. Sur le fond, l’auteur propose une belle construction, où réel et faux-semblant s’imbriquent, au point qu’à certains indices (notamment le devenir de Jack l’Eventreur), on se prend à douter que le continuum décrit soit notre référent. Vrai et faux s’harmonisent, aussi bien dans l’élaboration du récit que dans la fiction proprement dite. En ce sens, La Carte du temps a l’insigne mérite d’écarter l’argument uchronique pour en revenir à un récit de voyage dans le temps (et encore, ce n’est pas si sûr). Le fond est donc bon, et Palma aurait pu y bâtir des fondations saines donnant lieu à un chef-d’œuvre.

Seulement il y a la forme, qui fait du roman non pas un chef-d’œuvre, ni même une œuvre, mais un simple ouvrage. Autrement dit, une élaboration propre à l’auteur, satisfaisante dans son domaine privé, mais qui peine à convaincre dès lors qu’elle s’adresse au public. Pour le dire plus simplement (et c’est un tour de force, car le livre n’est pas simple), l’auteur s’est fait plaisir, croule sous la matière à exploiter, ne parvient pas à faire le tri dans ses notes et références. Se refusant de choisir, et donc de renoncer à telle ou telle donnée, Palma s’ensevelit sous un excès formaliste, un surcroît de matière historique et littéraire. Les chapitres 7 et 8 sont à ce titre exemplaires. Le premier décrit, sans souffrir la moindre coupe, l’existence d’H. G. Wells jusqu’à l’écriture de La Machine à explorer le temps. Le suivant embraye directement sur un copieux résumé dudit roman, ce qui, pour le lecteur averti des faits biobibliographiques, constitue un véritable tunnel d’ennui. Tout au plus s’amusera-t-il à relever les subtiles altérations, volontaires, n’en doutons pas, car une fois de plus Palma est à son aise. Trop, probablement, au point de penser qu’un exercice privé, de l’ordre de la rédaction intime motivée par le plaisir érudit, puisse satisfaire le public à coup sûr.

Or le livre plaît. Tant mieux, bien que l’on aurait pu souhaiter un supplément d’âme, moins de complexité savante et plus de spontanéité créatrice. D’autant que l’on devine cette connivence possible dans les interventions du romancier et ses adresses directes au lecteur, qui sont toujours réussies.

On préférera, sur un thème somme toute voisin, la ligne narrative simple du C’était demain de Karl Alexander.

Xavier MAUMÉJEAN

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