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Les critiques de Bifrost

L'Anneau de Ritornel

L'Anneau de Ritornel

Pierre-Paul DURASTANTI, Charles L. HARNESS
FOLIO
352pp - 9,40 €

Bifrost n° 31

Critique parue en juillet 2003 dans Bifrost n° 31

Dans le space opera, il appartient au sort de l'univers de basculer. C'est la que, pour les puristes du genre, continue de gésir cette différence essentielle qui le distingue de la vulgaire aventure spatiale. Entre les mains des héros de space op' repose le sort du monde : ils sont les enfants de Siegfried. Épique, héroïque, tout empreint de lyrisme et de flamboyance, tels sont les traits typiques du space opera classique dont l'aventure spatiale peut parfaitement se dispenser.

L'Anneau de Ritornel, publié aux États-Unis en 1968, est, lui, un space opera moderne. James Andrek n'est pas maître de son destin, emporté qu'il est par des événements sur lesquels il n'a pas de prise et qui le dépassent. Il s'efforcera toutefois d'agir et d'influer sur sa vie, mais ses buts et ses motivations n'ont pas l'envergure et ne se situent pas à la même échelle que les événements qui l'emportent. Ils semblent même presque insignifiants en regard des enjeux qui se révéleront au fil du roman.

L'Anneau de Ritornel fut publié en France en 1972 par Gérard Klein en compagnie de livres aussi réputés que Tous à Zanzibar, Dune ou Nova (autre space opera), dans la collection « Ailleurs & Demain », qui situent bien le rang de chef-d'œuvre de la S-F auquel peut prétendre ce roman. Pour les lecteurs un tant soit peu rompu au genre, ce n'est pas un ouvrage vraiment difficile. Mais c'est néanmoins un ouvrage profond et ambitieux, soutenu par une structure tout à fait remarquable qui, loin de nuire à son lyrisme baroque et à sa flamboyance, fait à la perle un écrin. Le soin apporté à la construction et la richesse de l'écriture déployée par Harness servent tant la dimension épique que sa perpendiculaire, la réflexion spéculative où il est débattu du hasard et du déterminisme. L'univers est-il régit par les caprices d'Aléa, la déesse de la chance, ou rythmé par les cycles immuables de Ritornel, l'Eternel Retour ? À travers le sort de la Terreur (la Terre), c'est cette question d'une portée largement extérieure au roman qui est posée. L'art de l'auteur est tel qu'il n'est point nécessaire au lecteur d'être au fait de la question : le roman y ouvre sans difficulté. Fatalement, lorsque l'on referme le livre, la question de savoir si nous vivons dans un monde en proie à l'aléatoire ou si, à l'inverse, tout événement serait prédestiné nous a traversé l'esprit. Mais la réponse, qu'à dessein Charles Harness se garde bien de nous donner, n'est peut-être pas si simple.

Dans ce roman, qui évoque Vol vers hier (Casterman) que Harness avait écrit durant l'âge d'or de la S-F, le lecteur ne voit tout d'abord pas où l'auteur veut l'entraîner. Après la mort du père et la disparition du frère, Omère, le lecteur voit s'avancer James Andrek fils sur le devant de la scène. Celui-ci recherche son frère avec opiniâtreté.

Andrek, devenu juriste à la Maison Haute, centre politique de la galaxie-mère, est envoyé sur la Terreur pour statuer du sort de la planète qui a été atomisée au terme d'une guerre terrible qui ne laissa aucun survivant dans le camp des vaincus. Encore les vainqueurs veulent-ils voir la planète voler en éclats. Il rencontre là Huntyr, l'assassin de son père, qui a bien des raisons de le craindre, et Vang qui le hait depuis l'académie. Pourtant Huntyr s'engage à retrouver Omère.

Plus tard, alors qu'Huntyr, percé à jour, s'apprêtera à l'assassiner, Andrek sera sauvé par l'intervention de Iovve, le pèlerin de Ritornel. Amatar, la « fille » d'Obéron, qui l'aime, donnera à Andrek une araignée avant qu'il ne parte pour la station nodale où siégeront les arbitres intergalactiques en ultime appel de la Terreur dont Andrek est mandaté par la Maison Haute pour requérir l'anéantissement. En fait, il est condamné à mort et doit être assassiné durant le voyage, mais avec l'aide de Iovve, il retournera la situation…

Avec ce douzième et dernier chapitre, on parvient au terme de la numérotation croissante, dernière face du dé dodécagone fétiche d'Aléa. Tous les éléments ont été mis en place ; une place sur laquelle Aléa semble régner. Désormais en tête à tête, Andrek et Iovve (Jove/Jahveh/Dieu) vont refermer l'anneau de Ritornel et établir pour le lecteur le déterminisme des événements et la prééminence de Ritornel, l'Éternel Retour. Cycle qui sera symbolisé par une série de jets de dé croissante puis décroissante identique à celle des chapitres. Il apparaît alors que tous les éléments font partie d'un plan savamment orchestré par Iovve pour assurer le prochain cycle…

Le dernier chapitre, intitulé « Le dernier nombre est-il le premier ? » est numéroté « X » et non 1 car le dernier jet de dé n'est pas révélé. Harness laisse planer le doute. Si c'est 1, alors Ritornel domine, c'est la loi de l'Éternel Retour qui prévaut et la Terre sera repeuplée par Amatar/Obéron. Si ce n'est pas 1, alors c'est Aléa qui domine, c'est le règne du hasard et le prochain cycle sera celui des kentaurs ; le couple est Amatar/Kédrys. Si, d'un point de vue de lecteur, on suit Andrek, on découvre alors comme un déterminisme imprédictible.

Seul le space opera permet, dans ses formes les plus audacieuses, de jouer sur un tel thème, car il faut aller très loin pour mettre en scène dans la matérialité ces questions qui nous sont pourtant si proches… D'où venons-nous ? Où allons-nous ? En Ritornel1…?

 

Notes :

1. Une première version de cette chronique est parue en 1996 dans le fanzine « one shot » Le Feu aux étoiles. [NDRC.]

Jean-Pierre LION

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