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Les critiques de Bifrost

Fugues

Fugues

Lewis SHINER
DENOËL
416pp - 22,40 €

Bifrost n° 69

Critique parue en janvier 2013 dans Bifrost n° 69

Pour certains, une musique — surtout une chanson —, c’est une madeleine de Proust, un instantané temporel. De toute évidence, Lewis Shiner est de ceux-là, lui qui bâtit tout un roman sur la recréation du passé, mais pas n’importe lequel : le passé du rock, et d’une de ses périodes les plus fécondes, la fin des sixties.

Le protagoniste de Fugues, Ray Shackleford, est — tout comme Shiner — un ancien musicien. Il s’est pour sa part reconverti dans la réparation des appareils de hifi, amplis, platines, etc. (Le roman date de 1993 et se déroule cinq ans plus tôt.) Un jour, alors qu’il rêvasse à ce qu’aurait été Get Back, l’album des Beatles sorti sous le titre Let It Be, et notamment « The Long and Winding Road » sans les rajouts sirupeux de Phil Spector, il a la surprise non seulement d’entendre ce titre fantôme, mais de l’enregistrer… Une musique issue d’un univers parallèle ?

Des albums fantômes, il en connaît d’autres. The Celebration of the Lizard, des Doors. Smile, des Beach Boys. First Rays of the New Rising Sun, de Jimi Hendrix. Pourquoi ne pas les invoquer aussi, puis trouver un autre amoureux du rock des sixties pour les vendre ? Et même, pourquoi ne pas glisser dans le temps, « fuguer », en somme, afin d’aller motiver les musiciens concernés ? Sauf que la réalité peut se montrer résiliente…

Fugues est un roman d’une grande richesse. Portrait à la fois d’une époque révolue, d’une génération désenchantée et d’un personnage épris d’absolu dans la musique comme en amour (car, surtout par sa faute, son couple bat de l’aile), il fait partie de ces livres de genre — tel, au hasard, Replay de Ken Grimwood — qu’on peut mettre entre les mains de tout lecteur raisonnablement ouvert.

Son aspect le plus étrange, toutefois, tient à ce que, depuis sa parution, son intrigue s’est réalisée. La plupart de ces galettes mythiques sont disponibles — Let it be… naked des Beatles s’écoutant dans sa version déspectorisée, le Beach Boys et le Hendrix ayant été reconstitués, il n’y a guère que le Doors qui reste insaisissable, mais pour combien de temps ?

Cela ne retire rien à la qualité de ce bouquin attachant et nostalgique. Au contraire : on dispose maintenant de sa bande son.

Lire aussi la critique d'Al' Durou dans le Bifrost 22.

Pierre-Paul DURASTANTI

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