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Les critiques de Bifrost

Faites demi-tour dès que possible

Faites demi-tour dès que possible

Jacques BARBÉRI, Stéphane BEAUVERGER, Thomas BECKER, Sabrina CALVO, Philippe CURVAL, Alain DAMASIO, Leo DHAYER, Raphaël GRANIER DE CASSAGNAC, Léo HENRY, Jeanne JULIEN, LUVAN, Norbert MERJAGNAN, Jean-Philippe OURRY, Ketty STEWARD
LA VOLTE
464pp - 18,00 €

Bifrost n° 78

Critique parue en avril 2015 dans Bifrost n° 78

Faites demi-tour dès que possible, sur une suggestion de Stéphane Beauverger et David Calvo, propose d’explorer les régions de France au travers du filtre de l’Imaginaire. L’idée, si elle peut paraître un brin saugrenue (même s’il est heureusement précisé que cette anthologie « régionale » n’est pas pour autant « régionaliste », ou pas davantage engagée dans « l’exaltation » de la mondialisation), n’en a pas moins réuni du beau monde, Voltés habituels et autres.

L’anthologie, qui peut se lire par régions, est organisée selon quatre thèmes. « La grande faucheuse », qui l’introduit (de manière révélatrice ?), s’ouvre sur « DCDD » de Stéphane Beauverger, pour l’essentiel une variation sur l’Ankou. De bonnes idées, quelques jolis passages, mais la nouvelle déçoit un peu — à la mesure des attentes que l’on pouvait placer en son auteur — du fait de quelques défaillances stylistiques et d’une structure qui pèche à l’occasion. Suit « Les Chutes », de luvan, un texte immédiatement identifiable (ce qui passe hélas par des « tics » un brin pénibles) : parfois très beau, et d’un fond irréprochable, il est donc d’une forme déstabilisante, et pas toujours à bon escient.

Deuxième thème, inévitable au regard du projet : « l’Enfance ». Ketty Steward se projette à 90 ans, alors qu’elle retourne à la Martinique, une île à bout de souffle qui n’est plus qu’imposture : remarquable. Jean-Philippe Ourry livre pour sa part une histoire de fantôme sur vidéo, où la terreur façon Ring est remplacée par une mélancolie douloureuse de l’adolescence ; émouvant et bien vu. Léo Dhayer fait dans l’évocation d’enfance miséreuse ; là encore, il y a quelques scènes poignantes et de jolis tableaux, mais le texte, probablement trop précieux (ce qui se justifie au regard du projet de l’auteur, mais convainc plus ou moins), est bien long, et l’irruption tardive de l’Imaginaire ne fait que renforcer son impression d’accessoire. David Calvo conclut cette partie avec une délicieuse lovecrafterie marseillaise, où l’adolescence dans les 80’s, avec moult (faux ?) clichés réjouissants, est brillamment ressuscitée par une plume habile : peut-être bien le sommet de l’anthologie, et sa plus parfaite synthèse, conjuguant l’humour et l’émotion avec un brio qui fait hélas parfois défaut aux autres participants.

En témoigne immédiatement « La Mort noire » de Raphaël Granier de Cassagnac, qui introduit le thème de la « Fin du monde » par un ratage ahurissant : c’est en effet une très mauvaise blague potache de sous-SF pop’ complotiste qui désespère là où elle est supposée faire rire, le « style », notamment les dialogues, n’arrangeant pas les choses ; un bref délire fandomique autour de Michel Jeury (ce qui tombe mal, hélas, au regard de la disparition de l’auteur) renforce l’impression que ce texte aurait pu éventuellement trouver sa place dans un fanzine ou une anthologie de micro-édition destinés à un public de copains (ce qui ne l’aurait pas rendu meilleur), mais qu’il n’a rien à faire ici. Contraste avec Thomas Becker, qui se la pète un peu, mais dont l’apocalypse angoumoisine vue par un organiste versé tant dans l’hermétisme que dans la théologie catholique a du sens et comprend de belles images. Le meilleur texte de cette partie, sans surprise, est celui de Léo Henry, une uchronie sur Erckmann-Chatrian, épopée en tandem dans une Alsace mythique au lendemain d’une guerre franco-prussienne qui n’a pas vraiment eu lieu ; de beaux personnages qui font le bilan d’une vie, d’une œuvre, d’une guerre et d’une patrie.

Dernier thème, inévitable là encore, la « Mémoire ». Philippe Curval, dont on peut se demander pourquoi la Volte s’acharne à le publier, commet une longue nouvelle parisienne désolante, là encore en forme de mauvaise plaisanterie pas drôle ; et, bon sang, comment peut-on écrire des dialogues aussi consternants ? Jeanne Julien relève heureusement le niveau, avec un très touchant portrait de grand-mère en quête de ses souvenirs, même si la forme pèche à l’occasion, alternant des moments vraiment très beaux et d’autres qui sonnent un peu faux… « Le Berceau des lucioles » de Jacques Barbéri, pour avoir été sélectionné au GPI, n’en est pas moins décevant : la nouvelle, sur une base de romance pénible, est bien terne, et un poil convenue… Suit Alain Damasio, qui, à son habitude, se montre aussi intéressant qu’agaçant en traitant du Vercors et donc (forcément…) de la Résistance, et en multipliant les « expérimentations » plus ou moins pertinentes. Cela passe toutefois bien mieux que la conclusion corse de Norbert Merjagnan, opaque et ennuyeuse.

L’anthologie, cela dit, est globalement bonne : si quelques textes sont ratés, le reste est le plus souvent au pire simplement correct, et régulièrement de bonne, voire très bonne tenue. Le thème, qui aurait pu être périlleux, est donc bien traité dans l’ensemble, et, pour être inégale comme le sont par essence les anthologies, cette excursion dans les « territoires de l’imaginaire » constitue plutôt un bon cru.

Bertrand BONNET

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