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Les critiques de Bifrost

Cosmos Incorporated

Cosmos Incorporated

Maurice G. DANTEC
LIVRE DE POCHE
576pp - 7,60 €

Bifrost n° 41

Critique parue en janvier 2006 dans Bifrost n° 41

Dans la première partie de Cosmos Incorporated, Sergueï Diego Plotkine arrive à l'astroport de Grande Jonction dépouillé de tous ses souvenirs, hormis de celui qu'il doit assassiner un homme. S'immergeant dans un univers cyberpunk d'un futur proche et chaotique — rencontrant des androïdes prostituées, un cyberdog, des dissidents chrétiens, des êtres en quête de rêve et, peut-être, d'une âme — , Plotkine tente de se réapprendre tout en mettant au point un plan pour l'assassinat du maire de Grande Jonction. Débute alors la seconde partie qui modifie radicalement la portée du texte, le personnage prenant conscience qu'il est lui-même un être de fiction dans l'univers réel. Métatexte inséré directement dans le texte, jouant sur le paradoxe de la perte d'identité et de l'homme reconstruit, le récit démontre que se reconnaître implique alors la connaissance de soi, et plus profondément, du monde.

La lecture de Cosmos incorporated n'est pas chose facile. Il y a, chez Dantec, un masochisme latent à vouloir concilier deux éléments antinomiques au sein de son écriture et de sa structure narrative : premièrement, un style surchargé de fioritures — notamment les incessantes descriptions et l'utilisation d'adjectifs de couleur cheap, ainsi que l'appel à un improbable vocabulaire high-tech — qui est un trouble héritage d'une littérature néo-populaire et fonctionnant parfaitement pour les situations narratives des fictions de genre ; deuxièmement, le traitement au sein d'un genre codifié de données métaphysiques et métatextuelles en multipliant les références — toutes plus éclectiques les unes que les autres. Pourtant, sous cet amoncellement stylistique et référentiel parfois rebutant, se cache une réflexion profonde, tentant de comprendre l'incarnation de l'esprit, la prise de conscience de l'homme, par le traitement du Verbe. Le texte met en scène l'être — c'est-à-dire le personnage — comme une coquille vide en quête d'absolu, dont la seule existence est une tentative — une obligation — de se remplir ; il ne dépend pour cela d'aucune croyance stricte — si ce n'est en une force obscure qui peut prendre toutes les formes : christianisme, cabalisme, sciences humaines ou mathématiques. Il démontre que l'être n'est ni divin ni vérité, mais un devenir — autrement dit une création ontologiquement renouvelée. Ainsi, l'être se retrouve transcendé par le pouvoir du mot — ou plutôt la puissance du Verbe. Tout est donc démesure dans ce roman : objectif et traitement du sujet. Le projet littéraire et philosophique proposé par l'auteur ne peut que le dépasser par son ampleur, mais cette persévérance, cette obstination — parfois dans le mauvais sens — ne peut que fasciner et ajouter encore à l'atmosphère de cette œuvre.

Beaucoup de défauts donc pour ce roman ambitieux — que certains critiques qualifieraient de pédant, démontrant ainsi leur étroitesse d'esprit ou leur hypocrisie —, mais contrebalancés par des qualités qui le rendent cependant nécessaire au paysage littéraire contemporain, science-fictif ou autres — car la fiction écrite est et restera toujours une réflexion sur l'acte créateur, l'étant et l'existant : questionnement qui prend tout son sens dans la structure du récit narratif. Sur ce point, la voix de Dantec est actuellement l'une des plus intéressantes en Francophonie — héritier baroque et halluciné de Blanchot et d'Abellio —, illustrant, presque en temps réel, la difficile proximité entre l'écrivant et l'écrivain et soulignant par là même les défauts, et qualités intrinsèques à ce lieu de création qu'est l'écriture.

Frédéric JACCAUD

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