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Les critiques de Bifrost

Aux limites de l’infini

Aux limites de l’infini

Stanley WEINBAUM
L'ARBRE VENGEUR
296pp - 18,00 €

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

Stanley G. Weinbaum est l’un des pionniers de la SF américaine. Né en 1902, il mourut d’un cancer du poumon en 1935, à 33 ans seulement, peu de mois après la publication de son texte le plus fameux, « Une odyssée martienne ». Célébrée par Isaac Asimov comme « l’une des trois histoires qui ont changé la SF », la nouvelle reçut un très bon accueil critique. Le lecteur y croise un groupe d’explorateurs envoyés sur Mars grâce à une fusée atomique (quoi que ce puisse être). Ils y rencontrent, pour la première fois peut-être de l’histoire de la SF, une créature extraterrestre (puis de nombreuses autres) visiblement intelligente, mais non humanoïde, avec toutes les impossibilités de communication que ça peut générer. Raisons d’agir, langages, culture, les Martiens de Weinbaum sont manifestement dotés d’une intelligence équivalente, voire supérieure (l’auteur resservira cette supériorité supposée dans une autre nouvelle du recueil, « Les Lotophages ») à celle des Terriens, mais il est clair que celle-ci ne nous est pas directement accessible. Cette approche de la vie extraterrestre, résolument nouvelle, enchanta le lectorat de l’époque et répondait par anticipation à la demande de John W. Campbell : « Écrivez-moi une créature qui pense aussi bien ou même mieux qu’un homme, mais pas comme un homme. »

Dans Aux limites de l’infini, à la suite de cette « Odyssée martienne », on pourra lire six autres nouvelles de longueurs diverses, toutes dans une traduction inédite.

Ainsi lira-t-on le texte éponyme au recueil, une sorte d’escape game improvisé dont la solution est la découverte d’une expression mathématique, « Les Mondes du Si », qui explore la possibilité d’univers parallèles infinis bien avant qu’Hugh Everett ne la formalise, « Dérive des mers », où un cataclysme géologique risque d’interrompre le Gulf Stream, refroidissant alors les terres de l’Est Atlantique, provoquant par là même exodes, guerres et débroussaillage malthusien, « Les Lotophages », où, sur une Vénus froide (!), on s’interroge, après Schopenhauer, sur la vie comme volonté, « Les Lunettes de Pigmalyon », où un voyage en paracosme conduit à s’interroger sur réalité et perception, et la très courte « Graphe », qui pointe les méfaits du stress induit par une vie professionnelle hégémonique.

L’ensemble forme un ouvrage à l’intérêt historique évident. Ramener sur le devant de la scène un pionnier peu connu du grand public français, donner à voir ce premier contact qui rompt avec les codes précédents de l’alien humanoïde et/ou purement hostile, tout ceci est intéressant. D’autant que dans les autres textes, Weinbaum fait montre d’un intérêt louable pour la science de son époque et les questionnements philosophiques ; aucun texte n’est, de fait, dépourvu d’une réflexion sous-jacente à l’intrigue.

Il y a néanmoins des bémols. Très datés dans leur écriture, les textes peinent à passionner. Le style est parfois plat, parfois verbeux, parfois trop visiblement conscient de sa propre finesse. De (rares) saillies sexistes font sourire — O tempora ! O mores ! Et puis, les erreurs et méconnaissances scientifiques de l’époque heurtent ou amusent. Vénus, qui ne tourne pas, est froide et dotée d’une pression supportable. L’atmosphère de Mars est largement respirable, et sur sa surface on trouve des canaux — alors qu’il était déjà admis qu’ils n’étaient qu’un fantasme de Percival Lowell. Ça peut faire beaucoup. On est ici dans l’archéolittérature. À toi de voir, lecteur, si tu veux participer à l’expédition.

Éric JENTILE

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