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Les critiques de Bifrost

Pèlerinage

Pèlerinage

Sylvie DENIS
ACTUSF
2,99 €

Bifrost n° 103

Critique parue en juillet 2021 dans Bifrost n° 103

Pèlerinage réunit cinq nouvelles, appartenant pour l’essentiel à la SF, avec des incursions dans d’autres terres de l’Imaginaire ainsi que l’univers de la pop-culture…

« Adrénochrome » agrège ainsi SF et fantasy. L’autrice y imagine l’apparition sur le dancefloor d’une boîte de nuit parisienne d’«  anges de quinze centimètres [qui] jouent au croquet ». Ce sont ce que l’on appelle des « Éleks ». Les uns tiennent ces créatures pour des effets secondaires et hallucinatoires de systèmes informatiques d’un avant-gardisme tout cyberpunk. Mais d’autres croient voir dans ces Éleks les représentants d’un autre monde. Une énigme que Jérémy, D.J. de son état, s’efforcera de percer dans cette nouvelle ajoutant à ses ingrédients fictionnels une touche à la Lewis Caroll…

De musique électronique et autre surgeon futuriste du rock’ n’roll, il est encore question dans « Le Zombie du frère ». Si le motif du mort-vivant annoncé par son titre n’y est présent que de manière métaphorique, cette nouvelle n’en est pas moins teintée d’horreur. D’inspiration scientifique, celle-ci tient autant à la façon dont Zahn (le protagoniste) a été conçu, qu’à la technologie spectaculaire – au sens premier du terme – dont il est malgré lui le cobaye. Sorte de déclinaison cyber de David Bowie, Zahn en possède la flamboyance pyrotechnique à la Ziggy Stardust et le tragique dandyesque façon The Thin White Duke.

Si « La Dame du Wisconsin » dépeint un avenir aussi inquiétant – où le dérèglement climatique a généré un chaos destructeur –, cette nouvelle n’a pas la gravité de la précédente. Ce récit est empreint d’un humour fantaisiste encore plus marqué que dans « Adrénochrome ». Et son évocation d’une étrange vieillarde devenue l’attraction quotidienne d’un salon de thé dans une Royan postapocalyptique amuse in fine plus qu’elle n’effraie.

La SF est aussi présente dans « Pèlerinage », une nouvelle qui parut en son temps dans Bifrost. Il n’est cependant plus question ici de l’anticipation des nouvelles précédentes, mais plutôt d’une échappée vers les lointaines contrées du planet opera. «  Pèlerinage » met ainsi en scène une planète essentiellement sylvestre, récemment colonisée par une humanité devenue maîtresse des voyages interstellaires. Celles et ceux qui s’y sont installés y cohabitent lointainement avec les « L’muls », un peuple extraterrestre et insectoïde ayant bâti un empire immense. Certains des humains et des aliens ont cependant développé des liens privilégiés, tels Tommy (le jeune fils d’Anne Marshall, docteure de son état) et Khan, un L’mul solitaire. D’abord amicale, cette rencontre du troisième type se muera en relation thaumaturge après que Tommy aura été empoisonné par la nature parfois bien peu hospitalière de la planète.

Enfin, « Le Ventre de la mer » est le seul de ces récits à ne pas relever de la SF. S’inscrivant dans le registre de la nouvelle à chute, l’histoire d’Émilie, fillette dont le frère immunodéficient est un « enfant-bulle », forme un bel exemple de conte fantastico-horrifique. Travaillant par ailleurs de manière troublante les motifs de l’engendrement et de la parentalité, « Le Ventre de la mer » souligne définitivement l’importance pour Sylvie Denis de ce thème. Courant à travers l’ensemble du recueil, cette vision rien moins qu’angélique des rapports familiaux constitue sans doute le trait le plus remarquable de l’univers protéiforme de Pèlerinage. Un recueil qui, de manière plus classique, use encore de l’Imaginaire pour interroger la question du rapport à l’autre ou bien des dangers d’une science sans conscience.

Pierre CHARREL

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