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Les critiques de Bifrost

Lune rouge

Lune rouge

Kim Stanley ROBINSON
BRAGELONNE
456pp - 25,00 €

Bifrost n° 106

Critique parue en avril 2022 dans Bifrost n° 106

Lorsque l’auteur de la « Trilogie martienne » sort un roman consacré à la Lune, les attentes ne peuvent être qu’élevées…

Si Robinson met au centre de cette colonisation la Chine, qui domine le pôle Sud de l’astre alors que toutes les autres nations, Américains y compris, s’entassent au pôle Nord, la colonie sélène n’est pas vraiment le point focal du récit. Car c’est en fait d’une anticipation du futur proche (2047) de la Chine dont il s’agit, et pas vraiment d’un planet opera comme Mars la rouge et ses suites. L’intrigue est centrée sur une nouvelle révolution chinoise, révolution qui vise à changer une nation introvertie, autoritaire, mono-culturelle, patriarcale, à la faire passer sous le règne de la Loi et pas du Parti. Un bouleversement concomitant à une crise financière aux États-Unis qui impulse un de ces nouveaux modes de gouvernement dont KSR est friand (ici, la notion de gouvernance par blockchain, sorte de démocratie hyper-directe où toute action officielle est contrôlable en permanence par le peuple). L’auteur montre d’ailleurs toute l’interdépendance économique entre les deux pays.

Et en profite pour décrire une Chine avec une citoyenneté à points, 500 millions de « migrants internes » illégaux horriblement exploités (vous êtes supposé travailler là où vous êtes né), une société de l’hyper-surveillance et de la dénonciation omniprésente, mais où le grand œil est à facettes, chacune étant contrôlée par un groupe militaro-sécuritaire différent, dans une balkanisation obscène de la « sécurité ». D’ailleurs, même au sein du Politburo, et alors que la succession du Président actuel est devenue inévitable, les factions sont innombrables, et en lutte d’influence féroce entre elles. Le conflit s’exportant sur la Lune, où, malgré le traité en vigueur, les militaires ont de plus en plus d’influence, et où les revendications territoriales, elles aussi interdites, pointent leur nez quand un vaisseau américain installe une base provisoire au pôle Sud.

Sur le papier, tout cela est alléchant, surtout connaissant l’intelligence et l’érudition de KSR. Hélas, on ne peut qu’être déçu : ce qui est décrit de la colonisation est assez maigre, peu crédible en termes de calendrier, même sachant la puissance de production chinoise, capable de faire sortir de terre d’énormes infrastructures en un temps ridiculement court, et même avec des robots et des imprimantes 3D. De plus, certaines solutions techniques posent question. Enfin, on a le net sentiment que le propos n’est pas centré sur les Chinois sur la Lune en 2047, mais sur les Chinois en 2047 tout court.

Ensuite, sur le plan littéraire, Lune rouge est à l’image de la production récente de KSR (sans atteindre le niveau catastrophique de 2312), c’est-à-dire grevé de multiples problèmes : lourd déballage d’infos, longueurs excessives, rythme mal maîtrisé, fin abrupte, soucis de crédibilité, deux des trois protagonistes qui sont ou falot, ou monodimensionnel, multiplicité de thématiques pas toujours assez développées, etc.

Ces deux aspects cumulés font que Lune rouge n’est pas à la hauteur de ce que KSR a jadis proposé. Surtout, sur un aspect strictement lunaire, le roman n’est pas non plus au niveau de ce que d’autres écrivains ont récemment produit, à commencer par Ian McDonald et son cycle « Luna », qui, tant sur le plan SF que littéraire, bat en l’espèce Robinson à plate couture.

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