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Les critiques de Bifrost

Les Menhirs de glace

Les Menhirs de glace

Kim Stanley ROBINSON
DENOËL
9,75 €

Bifrost n° 106

Critique parue en avril 2022 dans Bifrost n° 106

Deuxième roman publié par Kim Stanley Robinson, Les Menhirs de glace est en fait un fix-up composé de deux novellas antérieures, « To Leave a Mark » (qui correspond à la première de ses trois parties), et « On the North Pole of Pluto » (qui forme la troisième). On peut remarquer que cette œuvre précoce de KSR préfigure certains des joyaux de sa bibliographie : la partie centrale ressemble beaucoup à ce qui sera bien plus développé dans la « Trilogie martienne » dix ans plus tard, tandis que la première s’interroge sur les équilibres chimiques et écologiques que devra atteindre un vaisseau interstellaire pour réussir son voyage, thématique abordée plus amplement dans Aurora, trente ans après Les Menhirs de glace.

KSR part du principe que l’Homme a développé un traitement lui permettant de vivre mille ans, mais que le cerveau ne suit pas : ne sont accessibles que les souvenirs correspondant à l’espérance de vie naturelle, ceux du dernier siècle, en gros. Les autres sont soit effacés, soit enfouis, et ne ressurgissent qu’occasionnellement et involontairement. Les gens rédigent donc des autobiographies, s’adressant à leur « Moi » futur qui a tout d’une autre personne. Le roman nous présente trois de ces récits : le premier concerne Emma Weil, spécialiste en systèmes de support de vie, à qui deux anciens amis demandent son aide pour les aider à rendre viable leur astronef interstellaire (le premier de son genre) secret. Réticente, elle finit par accepter puis rentre sur Mars, où une Révolution éclate contre les Corporations et l’État policier inféodé à la Terre qui les chapeaute. Avant son départ de la nef interstellaire, elle aperçoit les plans d’une structure circulaire. Étrangement, bien qu’écrite après la troisième partie, cette ouverture souffre d’un style moins abouti.

Le second récit, trois siècles plus tard, met en scène Hjalmar Nederland, archéologue martien qui vient enfin d’obtenir l’autorisation gouvernementale de fouiller les sites des villes rasées pendant la Sédition. Sauf que ses découvertes contredisent le récit officiel selon lequel ces cités auraient été détruites par les rebelles. Lors de ses fouilles, il exhume le journal d’Emma, et quand un cercle de « menhirs » de glace, surnommé Icehenge, est découvert au pôle nord de Pluton, il fait le lien avec la structure circulaire mentionnée dans l’auto- biographie. Cette partie pré- sente de si nombreux points communs avec la « Trilogie martienne » qu’on peut presque la considérer comme un brouillon du cycle.

L’ultime récit est celui d’Edmond Doya, arrière-petit-fils de Hjalmar, qui remet en cause non seulement certaines des découvertes et théories de son ancêtre, mais qui jette aussi le doute sur le caractère fiable des narrateurs ou des événements relatés dans les deux parties précédentes, pensant qu’il s’agit en fait d’une mystification. Tout comme le récit de Hjalmar, celui d’Edmond s’interroge sur la manipulation et la réécriture de l’Histoire, que ce soit par des gouvernements ou de riches individus, et sur notre tendance à ne voir que les « faits » que nous désirons voir.

En cette époque d’infox et de narratif plaqué artificiellement sur la réalité objective, Les Menhirs de glace reste un roman fort pertinent et intéressant, malgré ses presque quarante ans d’âge.

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