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Les critiques de Bifrost

Les Enfants de la Terreur

Les Enfants de la Terreur

Johan HELIOT
L'ATALANTE
304pp - 19,90 €

Bifrost n° 107

Critique parue en juillet 2022 dans Bifrost n° 107

À peine proclamée, la Première République avait fait preuve d’une ambition infinie de réfor­mes, allant jusqu’à changer la façon de mesurer les distances – le système métrique servant d’épine dorsale au système inter­national des unités – et celle du temps. Johan Heliot aime les uchronies, et c’est donc en toute logique, au fil des jours de l’an VIII du calendrier révolutionnaire, qu’il égrène l’intrigue de sa nouvelle histoire. La chute de Robespierre – Thermidor – n’a pas eu lieu, la Terreur se prolonge : si la Révolution française accouche du monde moderne, on sait que dans notre Histoire cela s’est fait à coups de guillotine – à l’époque présentée comme une façon humaine et sur­tout égalitaire de mettre fin à la vie d’un in­désirable, qu’il soit noble, traître ou simple malfaiteur… et donc, Johan Heliot imagine ici que la raison déraisonnable des amis de Robespierre aurait pu engendrer une mon­strueuse aberration, celle de l’entreprise in­dustrielle d’extermination, avec pas moins de cent quarante années d’avance.

La cruauté de ce passé alternatif est mise en exergue par les destins croisés de différents personnages, dont certains historiques. Le lecteur suivra donc les enquêtes convergentes que conduisent le Chevalier d’Éon et le Marquis de Sade. C’est dans le traitement de ces derniers que l’œuvre fait sourciller une première fois : justice est rendue au goût avéré du premier pour le travestissement, mais il est attribué à un désordre psychologique relevant de la dissociation de personnalité entre un pôle masculin et un pôle féminin nommé Geneviève ; le second, quant à lui, troque les plaisirs dits « libertins » à l’époque au profit de ceux de la table – ce qui est avéré aussi, le « Divin Mar­quis » étant devenu obèse à la fin du XVIIIe siècle –, mais conduit une vie de famille recomposée stupéfiante de banalité. L’u­chronie politique se complique donc d’une possible composante individuelle, et c’est bel et bien celle-ci qui vient déranger la sus­pension d’incrédulité.

Si le lecteur fait fi de ces im­pressions, il lui sera possible de comprendre le schéma de l’au­teur. La Terreur est, de nos jours encore, un moment controversé d’une époque troublée : Ther­midor lui succède, puis le 18 Brumaire. Ici, la prolongation de cette même Terreur, et donc, de la cruauté du sort qu’elle inflige à ses enfants, quel que soit leur âge, épargne Thermidor à la France, mais pas le coup d’État du 18 Brumaire à l’Europe. En filigrane, la question qui fâche : puisque c’est de la Terreur que naissent les cauchemars, est-ce la Révolution qui a mal tourné à un moment ou bien était-elle viciée dès l’origine ? L’interrogation semble discutable, car la Révolution et ses affres ne se résument pas à un trait d’union sanglant entre l’Ancien Régime et l’Empire : c’est avec ce qui ressemble à un parti pris que Les Enfants de la Terreur pourra s’aliéner certains de ses lecteurs…

Arnaud BRUNET

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