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Le Livre des Terres Bannies (T.1 Malice – T.2 Bravoure)

C’est une histoire vieille comme la fantasy, peut-être vieille comme le monde : le bien, le mal, et les choix qu’on fait pour accomplir l’un ou l’autre. Jadis dévastées par l’affrontement entre le Créateur et son ange déchu, les Terres Bannies ont lentement pansé leurs plaies. Des nations humaines y ont supplanté les géants primordiaux et ont prospéré sur les ruines de leur civilisation cyclopéenne. Mais cette paix n’est qu’illusoire. Car une prophétie annonce le retour imminent de la guerre des dieux. Pour s’y préparer au mieux, l’héritier du trône de Ténébral, présumé champion de la lumière, entend restaurer une antique tradition impérialiste et unir sous une seule bannière (la sienne) l’ensemble des royaumes. Autant que la vague menace d’un retour des forces du mal, cet expansionnisme — encouragé par les états satellites de Ténébral, mais perçu par d’autres potentats comme un asservissement – sert de déclencheur à toute une série de querelles géopolitiques, d’actions violentes et de troubles événements surnaturels où chacun, des géants survivants aux généraux en passant par les hommes et les femmes du peuple, y compris ce simple fils de forgeron, devra se battre et choisir son camp.

Le point de départ du premier roman de John Gwynne fait tout de suite penser, par ses accents profondément manichéens, au « Seigneur des Anneaux ». Une prophétie, des représentants de la lumière et des ténèbres, des artefacts magiques, une race de géants… Les emprunts à la high fantasy sont légion, mais au jeu des comparaisons, d’autres références s’imposent. S’il y a du G.R.R. Martin dans certains motifs, et dans la structure narrative du « Livre des Terres Bannies » (chapitres courts, alternance des points de vue), c’est davantage de David Gemmell qu’on a envie de le rapprocher. Outre une esthétique et un ton général qui rappellent certains univers rugueux de l’auteur anglais, plus ou moins inspirés des cultures et de l’histoire du haut-moyen âge européen, John Gwynne partage avec son aîné cette faculté de créer des personnages inoubliables, plus vrais que nature, et de tisser une intrigue organique, le tout mis en valeur par un sens consommé de la narration. Surtout, une salutaire sobriété et une exécution franche, en ligne droite, totalement premier degré, sans la moindre trace de prétention et encore moins d’esbroufe stylistique. Mieux, prenant le contrepied d’une bonne partie de la production de fantasy récente, on n’y déplore aucune référence progressiste ni rapprochement désastreux à l’actualité. Malice et Bravoure ne proposent qu’une histoire. Un peu longuette dans le premier tiers de son tome inaugural. Souffrant de quelques vilains tics d’écriture, d’une certaine prévisibilité et d’un classicisme qui peut donner au cycle un aspect un peu terne comparé à des propositions plus novatrices (la hard fantasy des « Maîtres enlumineurs », l’arcanepunk, la fantasy à « poudre » ou exotique) et parfois plus inégales. Mais parfaitement convaincante et jamais embarrassante, écrite par une main qui ne tremble pas et ne se soucie d’aucun cahier des charges sinon de rentrer dans la tête de son lecteur.

Dans un monde en parfaite santé, le « Livre des Terres Bannies » ne serait pas autre chose qu’un bon gros page-turner, pas très original mais sympathique, prometteur. Dans le contexte de saturation du marché de la fantasy et d’une hasardeuse prolifération des niches et des sous-genres, ce retour aux sources de l’épique nous semble constituer l’une des plus belles réussites de ces dernières années.

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