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Les critiques de Bifrost

La Ville des impasses

La Ville des impasses

Aymen GHARBI
ASPHALTE
160pp - 15,00 €

Bifrost n° 103

Critique parue en juillet 2021 dans Bifrost n° 103

Voici le court roman d’un auteur d’origine arabe – Tunisien – écrit en français, roman qui n’a rien ou pas grand-chose d’arabe si ce n’est Bayoumi, un personnage d’origine égyptienne, quelques références culturelles disséminées çà et là, et peut-être la thématique sous-jacente en arrière-plan.

Xoxox est une ville nouvelle bâtie au cœur de la forêt landaise sur un plan en forme de palmier conçu par l’architecte Gravimal, un type proche d’Albert Speer par l’attitude mais totalement à l’opposé dans ses conceptions. Xoxox, censé être un paradis écologiste libéré du démon à quatre roues, qui s’avère, comme tout paradis digne de ce nom, un enfer pour qui y vit. On n’accède à la ville palmier que par le train, et deux ruelles de moins d’un mètre de large. Gharbi ne s’étend pas sur la question, mais de fait, Xoxox est exclue du transport conteneurisé : impossible d’y livrer une table ou un piano. C’est une ville fermée, exclusivement en impasses, imposant de toujours repasser par l’esplanade centrale et permettant donc un contrôle drastique de la circulation, une ville qui, de 100 000 habitants ne pouvant rien consommer ni produire, a perdu 60 % de sa population en 2042, époque du récit. À Çatal Höyük, la première grande ville du monde, il y a près de 10 000 ans, le concept de rue n’avait pas encore été élaboré et il fallait circuler d’un toit à l’autre ; à Xoxox, ledit concept a été rejeté et la population des opposants à Gravimal se déplace dans les égouts. Pour le reste, on n’en sait guère plus, Gharbi s’étendant insuffisamment sur les conditions de vie pratique de la population de sa cité.

L’histoire est, elle aussi, pour le moins sommaire. Pour que puissent être ouvertes des avenues dans Xoxox, il faut se débarrasser de Gravimal. Aussi un attentat est-il ourdi, qui échoue piteusement. Mais un second, perpétré contre la ville elle-même, aboutit de telle sorte que le concept de ville en impasse tombe à l’eau.

Outre la tueuse à gage de service qui rate tout, le roman suit Gravimal et son principal opposant, Dashiel Zalama, ainsi que leurs faire-valoir. Ce qui permet de découvrir que l’un et l’autre ne s’intéressent guère au concept écolo qui les oppose, mais uniquement au pouvoir qu’il leur confère. Et c’est là qu’Aymen Gharbi renoue peu ou prou avec ses origines. On sait, et les intéressés mieux que quiconque, combien le monde arabe est gangréné par une corruption effrénée à laquelle les mouvements des « Printemps Arabes » ont essayé de mettre fin – en vain. Mais Gharbi connait également bien la face nord de la Méditerranée, assez pour savoir que si la corruption et l’influence mafieuse y est plus discrète qu’au sud, elle n’y est pas moins profonde, et que l’écologisme présente tous les critères voulus pour la favoriser. Gharbi nous délivre une mise en garde à ne pas prendre à la légère : sous les eaux tranquilles de la bien-pensance, la bête est là, tapie, à l’affût du pouvoir et du pognon, prête à passer les gens par profits et pertes en guise d’éthique.

N’en reste pas moins que tout au long de sa lecture, ce court roman apparaît au mieux médiocre. Ce n’est qu’à l’épilogue que toutes les pièces du puzzle finissent par trouver leur place, et que le récit en vient à faire sens. Bien qu’il soit loin de l’œuvre de James G. Ballard, IGH notamment, ou du chef-d’œuvre de John Brunner, La Ville est un échiquier, c’est malgré tout auprès d’eux que ce livre trouvera sa place sur les rayons de nos bibliothèques.

Reste au final la question de savoir si l’architecture et l’urbanisme, imposant aux citoyens les comportements déterminés par les décideurs-financeurs, sont, à l’instar de Speer ou Le Corbusier, fascistes  ?

Jean-Pierre LION

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