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Les critiques de Bifrost

La Cité des nuages et des oiseaux

La Cité des nuages et des oiseaux

Anthony DOERR
ALBIN MICHEL
704pp - 24,90 €

Bifrost n° 108

Critique parue en octobre 2022 dans Bifrost n° 108

Le livre relie passé, présent et futur ; un objet puissant, capable d’enchanter les gens, et même de sauver des personnes. En tout cas, tel est celui qui sert de fil rouge à La Cité des nuages et des oiseaux, d’An­thony Doerr. Des scientifiques ont en effet retrouvé un ancien manuscrit grec en piteux état, signé Antoine Diogène, et narrant les aventures d’un homme voulant devenir oiseau pour atteindre une cité céleste merveilleuse. Comme dans L’Âne d’or d’Apulée (qui sert de modèle à l’auteur américain), le protagoniste, suite à une erreur, se transforme en âne et voyage à travers le monde, voire les mondes, puisqu’il s’approche de la Lune afin d’annuler le sortilège. Découpée en 24 feuillets, une par lettre de l’alphabet grec, cette histoire sert de trait commun aux personnages du roman. Au XVe siècle, Anna et Omeir, deux jeunes gens, sont dans des camps opposés. L’une vit dans Constantinople assiégée par les armées du sultan, l’autre est enrôlé de force dans lesdites armées. Au milieu du XXe siècle, Zeno tente de se construire, orphelin homosexuel dans des États-Unis puritains et en pleine guerre de Corée. Au XXIe siècle, Zeymour, jeune homme autiste vivant seul avec sa mère épuisée par ses multiples em­plois, trouve le réconfort dans la nature et, surtout, le spectacle d’une chouette cendrée. Mais l’habitat de son unique amie est soudain menacé par des constructions, et tout l’univers du garçon s’en trouve bouleversé. Enfin, dans un siècle à venir, Konstance vit dans un vaisseau spatial lancé en direction d’une lointaine planète avec quelques autres représentants choisis de l’espèce humaine.

Aucun lien apparent entre tous ces personnages. Ce dont on se moque, même si on se doute que tous vont être reliés à un moment ou à un autre. L’immense talent de l’auteur est de nous les rendre très vite présents et indispensables. Anthony Doerr connaît les détours de l’esprit. Il en sait les forces et les faiblesses. Connaît la valeur d’un regard. Dès Le Nom des coquillages, son premier re­cueil (VF en 2002), l’auteur a montré sa ca­pacité à rendre vivants des êtres de papier en quelques lignes. Il a aussi très tôt compris la puissance des paysages, qui n’ont nul be­soin d’être spectaculaires pour influencer les vies de ceux qui les habitent. Dans La Cité des nuages…, ils imprègnent chaque phrase de leur présence, et les histoires des différents personnages sont un régal. Les pages se tournent à la vitesse de l’éclair. On pourrait dire que c’est déjà beaucoup.

Or, ce n’est pas tout. Ce récit est d’abord une déclaration d’amour aux livres. Tout en lui démontre la nécessité de la littérature et de sa transmission. Certains y puisent la force de tenir face aux violences de la vie ; d’autres croient en la magie des mots, littéralement ; d’autres encore pensent que les ouvrages sont source de liberté, voire de lien entre les gens, malgré les différences d’âge ou de classe sociale. Les récits sont universels et sont à même de toucher n’importe qui. Un beau message pour une belle histoire, émouvante et forte. Du sens dans un monde en perdition. Une lueur d’espoir dans les ténèbres.

De la littérature, en somme.

Raphaël GAUDIN

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