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Les critiques de Bifrost

L'Appel des grands cors

L'Appel des grands cors

Thibaud LATIL-NICOLAS
MNÉMOS
464pp - 21,00 €

Bifrost n° 103

Critique parue en juillet 2021 dans Bifrost n° 103

Tout s’effondre pour les Chevauche-Brumes dans cet ultime roman de la trilogie éponyme initiée en 2019 (et chroniquée dans nos 95e et 99e livraisons). Nos héros, diminués, ne savent où donner de la tête. Et Jerod, le mage aux pouvoirs autrefois si puissants, en est réduit à retrouver la cathédrale noire en espérant y dénicher une clé à cette situation catastrophique. Catastrophique, oui, car les Humains, au lieu de s’unir face au péril phénoménal des mélampyges, se divisent. Juxs, l’Enochdil, a définitivement pris le pouvoir sur le Roy et donc sur les armées du Bleu-Royaume. La menace monstrueuse ne l’inquiète pas : seule l’annihilation de l’hérésie lui importe. Dans son délire de pureté, il laisse de côté les signes annonciateurs du désastre et mène ses troupes à l’assaut des armées d’Hondelbert, surnommé « la Muraille », bien conscient, lui, du sort qui menace l’humanité. Que pourront les quelques Chevauche-Brumes face à cette mécanique implacable ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Thibaud Latil-Nicolas ne recule devant rien pour entrainer son lecteur : que de batailles, que de retournements de situation, que d’aventures ! Ce dernier tome est particulièrement réussi et ferait presque regretter la fin de cette saga (presque, car rien de pire qu’une série qui se prolonge dans l’étiolement). Mais c’est une fin en feu d’artifice ! Tout se met en place dès les premières pages pour un affrontement final mémorable, et l’on n’est pas déçu. Mais attention, l’auteur ne glorifie pas la guerre, il ne la place pas, rutilante, sur un piédestal. Non, si le Verbe est fort et riche, il ne magnifie pas les combats, ne les esthétise jamais. Au contraire, il renforce leur violence, leur monstruosité, leur côté implacable. Thibaud Latil-Nicolas use de la langue française et de son vocabulaire varié pour créer des images puissantes à même de marquer les esprits. Il sait ne pas se montrer pompeux, évite les passages boursouflés. Ses descriptions sont belles et efficaces, originales. Trouvant le point d’équilibre entre narration pure et contemplation, il se permet – et ainsi permet au lecteur – de prendre la mesure de la situation, de s’immerger dans un paysage, de rencontrer des personnages sans trop ralentir l’action, épargnant à son lecteur de longues envolées lyriques inutiles, voire pénibles. Son style est agréable et parlant. Il sert l’histoire sans être transparent.

De plus, cet auteur aime ses personnages, c’est évident. Et de fait, il sait les faire aimer. Sans hésiter pour autant à leur faire subir des sorts peu enviables – de la mort à la torture la plus infâme. Plusieurs dizaines de pages consacrées à la caractérisation de personnages parfois brutalement réduits à néant ; un crève-cœur pour le lecteur, tant il avait su rendre ces derniers sympathiques, attachants, vivants. Il en va d’ailleurs de même pour les figures détestables ; Latil-Nicolas déploie un talent inchangé pour imaginer des êtres si repoussants qu’on s’en trouve presque soulagés lors de leur décès. Le monde dans lequel il nous invite transpire, sent l’oignon macéré, crie et rote, pleure et se réjouit. Il existe, pleinement, emplit les sens du lecteur.

Ceux qui n’ont pas encore abordé cette trilogie feraient bien d’y songer, d’oublier les faiblesses du premier tome pour se laisser emporter par cette fougue imagée, cette force évocatrice – ce souffle, ni plus ni moins. Les autres devront attendre les prochains romans de Thibaud Latil-Nicolas, une plume à suivre, nécessairement.

Raphaël GAUDIN

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