Connexion

Les critiques de Bifrost

Haute-École

Haute-École

Sylvie DENIS
L'ATALANTE
544pp - 10,00 €

Bifrost n° 103

Critique parue en juillet 2021 dans Bifrost n° 103

Haute-École est le premier roman de Sylvie Denis, et le seul dans sa bibliographie à relever de la fantasy. Il s’agit d’une déclinaison inhabituelle du genre, surtout pour l’époque de sa parution, avec sa société préindustrielle devant plus à l’Ancien Régime qu’au Moyen Âge, sa magie remplaçant la technologie, et son histoire sortant des canons de celles centrées sur une école de magie. Le hic étant que depuis 2004, on a fait bien mieux dans ces registres, et que le livre accuse de fait son âge… entre autres soucis.

Le worldbuilding, singulier, s’articule autour de deux royaumes concentriques : l’un, dit Intérieur, entoure le centre du monde, un désert calciné par le Solaire, l’autre, dit Extérieur, est limité par la mer et des Murailles de Brume infranchissables. Ils sont en guerre, depuis si longtemps que la raison du conflit a été oubliée. Dans le royaume Intérieur, on tue les magiciens, jugés trop dangereux, à la naissance ; dans l’Extérieur, ils sont enrôlés de force dans la Haute-école. Les plus chanceux finissent professeurs, les autres au service de l’armée, de l’administration ou de riches privilégiés, servant de système d’éclairage public, à actionner les pompes pour l’eau courante, et ainsi de suite (l’école les qualifie de matériaux : ce ne sont plus des humains, mais des machines ; on est loin de l’élite que forment les mages dans quantité d’univers de fantasy). Une répétitivité des tâches qui conduit à la folie, au suicide, voire à une fuite punie de mort. Et le Grand Méchant, qui vient de s’emparer de l’école par le meurtre, a des projets plus sinistres encore : pour donner au processus la dimension d’un véritable travail à la chaîne, il veut créer un programme eugéniste et faire se reproduire les mages entre eux. Les rafles et l’embrigadement ne suffisent plus, voilà qu’arrivent l’élevage en batterie et les expérimentations humaines afin de développer de nouveaux pouvoirs.

Contre ces maux – militarisme, capitalisme et horreur quasi-nazie – se dressent les rares magiciens libres, quelques élèves de l’école, une poignée de soldats plus responsables, des Réformateurs désireux instaurer une monarchie parlementaire, ainsi qu’Arik, seul personnage solide, par sa nuance, dans une galerie qui se caractérise par ses stéréotypes et son absence de relief psychologique (le méchant très méchant, la jeune fille courageuse, la gentille copine qui va mourir, le traître, le collabo, etc).

Hélas, trois fois hélas, les personnages / points de vue / sous-intrigues sont également trop nombreux, trop creux (les deux romances dispensables, le point de vue de l’antagoniste insuffisamment montré), le world building / magicbuilding trop flou ou basique, les événements de la fin du troisième quart mal exploités, et la conclusion, où, contre toute attente, les gentils écrasent les méchants d’un coup de baguette magique, gâchent ce qui aurait pu être un livre bancal mais intéressant. Reste un roman qui s’avère pourtant prenant, avec un style remarquable de fluidité et une capacité à proposer quelques moments puissamment évocateurs, sans oublier un fond (antimilitariste, progressiste, humaniste, tolérant) de valeur certes mal exploité, mais bien présent. Car tel est bien le principal reproche à faire à Haute-École : ce roman ne manque pas de bonnes idées, mais il ne les exploite jamais suffisamment.

APOPHIS

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug