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Eux

Chassons d’emblée les malentendus : en dépit d’un même nom de famille, Kay Dick n’a rien à voir avec un certain Philip K. Journaliste et femme de lettres britannique, Kathleen Elsie « Kay » Dick est autrice d’une dizaine de romans, dont le dystopique Eux. Paru originellement en 1977, le récit est tombé dans les oubliettes de l’histoire, mais en a été miraculeusement extrait outre-Manche en 2022. Un an plus tard, le voici disponible en français.

D’emblée, Eux pose la question de l’écriture de la dystopie : dans ce roman bref, presque rien n’est dit ou n’est expliqué. Là où la plupart des dystopies récentes prennent soin de raconter comment on en est arrivé là, Kay Dick ne le fait pas. On ne saura guère qui sont ces « eux », comment ils ont pris le pouvoir, jusqu’où ils iront. On sait qu’ils sont là, d’abord à la périphérie du regard, qu’ils peuvent entrer dans votre domicile en votre absence et le saccager sans que vous ne puissiez rien y faire ; on sait qu’ils s’enhardissent, qu’ils sont de plus en plus nombreux, qu’il n’est pas possible de lutter contre eux, qu’ils sont forcément au courant si vous vous obstinez à pratiquer la musique, à lire des romans (ou à les apprendre par cœur), à écrire de la poésie. Si vous vivez seuls, aussi. Si vous ne vous pliez pas à la nouvelle norme, en somme. Et ils vous le feront payer. C’est ce quotidien noyauté par un imperceptible parfum de fascisme que vit l’anonyme personne (ou y en a-t-il plusieurs ?) racontant son histoire, narrée au fil de séquences disjointes – les proches et les amis vont et viennent, disparaissent, reviennent parfois, mais rarement. Il y a toujours l’espoir de se loger ailleurs, de trouver une communauté pour être soi, un temps seulement.

Aussi glaçant que glacé, brutal que cotonneux, nébuleux que frustrant, capable d’instiller autant le malaise que l’ennui, Eux est un roman indéniablement intéressant. De là à crier au chef-d’œuvre… à vous de voir. En Bifrosty, on reste dans le flou.

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