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Les critiques de Bifrost

El gordo

El gordo

Xavier MAUMÉJEAN
ALMA
276pp - 19,00 €

Bifrost n° 109

Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109

Voici quelques années que Xavier Mauméjean ne nous avait donné de ses fictionnelles nouvelles, son roman précédent, La Société des faux visages (cf. Bifrost n° 88), datant de 2017. Un lustre au cours duquel l’auteur a avant tout mené une active carrière d’essayiste, avec entre autres un conséquent ouvrage consacré à l’artiste « outsider » Henry Darger (cf. Bifrost n° 102). C’est donc une manière de retour à l’Imaginaire, qui plus est en pleine forme, que marque pour Xavier Mauméjean la publication d’El Gordo, en cet automne 2022. Car c’est une fort belle chimère littéraire que l’auteur compose avec ce roman, fidèle en cela à sa conception, à la fois érudite et métisse, de l’Imaginaire. Pour celles et ceux ne l’ayant point encore goûtée, rappelons qu’il s’agit de relire une Histoire réellement advenue (ici, celle de la guerre qui déchira l’Espagne entre 1936 et 1939) à l’aune d’un prisme fictif composite, agençant avec un grand plaisir narratif des figures et motifs de la culture la plus considérée comme de la plus populaire.

Soit une séduisante synthèse dont les protagonistes d’El Gordo constituent, chacun à leur manière, les exemplaires incarnations. Le roman met en scène les aventures, à travers l’Espagne de 1936, de deux garçonnets : le disert William, sujet prépubère de sa Gracieuse Majesté, et le muet Passe-Montagne, d’origine parfaitement inconnue, ainsi surnommé du fait de son indéfectible attachement à son couvre-chef laineux. Quant à savoir ce que ledit Passe-Montagne est venu faire dans une péninsule ibérique à feu et à sang, lecteurs et lectrices ne le sauront jamais. Claires en revanche sont les motivations de William, sans pour autant être communes. Le jeune Anglais ne s’est en effet pas rendu en Espagne tel Eric Blair (alias George Orwell) pour prendre part à la guerre, mais pour y récupérer le considérable gain d’un heureux billet de la loterie espagnole. Nullement égoïste, l’entreprise de William revêt d’inédites allures chevaleresques, car ledit billet gagnant (surnommé « El Gordo », c’est-à-dire « le gros lot ») appartenait au défunt père de Sweet, la jeune fille dont il est innocemment épris. N’ayant pour armure que des culottes courtes évoquant celles de Bennett et autres héros enfantins d’Anthony Buckeridge, William s’érige ainsi en anachronique paladin au cœur d’une Espagne du XXe siècle déchiquetée par des orages d’acier et d’idéologie, où la chevalerie n’est définitivement plus de mise. Déjà prégnant, le cousinage de William avec l’hidalgo décalé de Cervantes (sous le patronage duquel Xavier Mauméjean place liminairement El Gordo) devient encore plus manifeste après que se soit attaché à lui (à moins que ce ne soit l’inverse) le coi et débrouillard Passe-Montagne. Ce dernier s’affirmant comme un croisement assez extraordinaire entre l’ibère Sancho Panza de Don Quichotte et les ketjes (ou gamins, en bruxellois dans le texte) de Quick et Flupke d’Hergé…

… car si El Gordo convoque nombre de références littéraires (à celles déjà citées, et selon un même œcuménisme transgénérique, on pourrait ajouter le drame shakespearien et les chroniques guerrières de Sven Hassel), c’est peut-être aux bandes dessinées de Hergé qu’il doit in fine le plus. Sorte de relecture hardcore de Tintin (avec en guise de principal méchant le très réel et « surfasciste » Julius Evola), El Gordo se réapproprie les caractéristiques essentielles des aventures géopolitiques du reporter à la houppette, dressant ainsi un portrait aussi enlevé que saisissant de l’âge des extrêmes dont l’Espagne fut l’un des terrifiants théâtres…

Pierre CHARREL

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