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Choc terminal

De quoi parle un roman de Neal Stephenson ? C’est souvent difficile à déterminer, et plus encore à résumer. L’auteur est passé maître dans l’art de filer vingt idées distinctes, pour son plaisir et souvent le nôtre, sans trop se soucier qu’on distingue les coutures. Choc terminal ne fait pas exception à la règle. On y parlera un peu du concept éponyme, mais aussi bien des mérites relatifs des arts martiaux sikhs et chinois, du danger des sangliers géants pour les transports aériens, ou de la mise en forme de front d’ondes… On aime, ou on n’aime pas. Mais Choc terminal ne décevra pas les lecteurs habituels de Stephenson.

Reprenons, donc. Les inquiétudes sur la notion de « choc terminal » sont nées au début des années 2000, avec la prise de conscience par les politiques, via les travaux du GIEC, en particulier, du fait que le climat est un système complexe, éminemment non-linéaire, et même, dans une certaine mesure, chaotique. On a déjà beaucoup de mal à modéliser son évolution à moyen terme, et plus encore à se mettre d’accord sur les réponses appropriées, et sur la répartition des sacrifices désormais inévitables, entre nations comme entre générations ; mais qu’arriverait-il si l’on décidait de mettre en œuvre des techniques d’ingénierie climatique globale, susceptibles d’induire des changements encore beaucoup plus rapides ? Quelle confiance accorder aux simulations ? Quelles pourraient être les conséquences des inévitables imprévus techniques ? Quelle serait la réaction des « perdants » auxquels on imposerait une aggravation artificielle de leur situation pour améliorer, ailleurs, celles d’autres « gagnants » ? Et surtout, donc : à supposer qu’une telle entreprise soit engagée, et même que l’on ait toute confiance dans la prévision de ses conséquences, etc., qu’adviendrait-il si on l’interrompait brusquement, à mi-gué, à cause d’une crise politique, ou économique, ou sanitaire ? Le choc induit par cette terminaison brutale, hors d’équilibre, ne serait-il pas pire que le mal qu’il s’agissait de prévenir ?

Roman de politique-fiction bien plus que de hard science, Choc terminal aborde toutes ces thématiques intriquées, dans un joyeux désordre qui, dans l’état actuel des connaissances, en est peut-être bien l’une des moins mauvaises approches. Sa galerie de portraits s’ouvre sur celui de Saskia, reine sans grand pouvoir autre que symbolique de Pays-Bas particulièrement menacés par la montée des eaux, et de quelques membres de son Cabinet, suivi de celui de T.R., milliardaire texan techno-solutionniste persuadé, à la Elon Musk, qu’il peut à lui seul changer le cours du monde ; on rencontrera ensuite une poignée d’activistes, d’espions et de mercenaires, une paire d’ingénieurs, des Chinois et des Indiens interventionnistes, une Princesse délurée (et même, au détour d’une page, le Prince Charmant qui va avec), et cetera ad libitum.

Stephenson n’est pas Kim Stanley Robinson, et l’on chercherait en vain chez lui le détail des avantages et des inconvénients de telle ou telle technique particulière d’ingénierie climatique (en l’occurrence, ici, l’injection de soufre dans la haute atmosphère). Mais il excelle à proposer des points de vue inattendus et à donner à ses lecteurs ample matière à réflexion. Que demander de plus à la science-fiction ?

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