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Les critiques de Bifrost

Meddik

Meddik

Thierry DI ROLLO
LE BÉLIAL'
240pp - 13,00 €

Bifrost n° 39

Critique parue en juillet 2005 dans Bifrost n° 39

Il faut bien l'avouer : Thierry Di Rollo n'a pas sa place dans le Paysage Imaginaire Français. Pas le moindre gobelin, aucun combat au sabre laser, rien de ce qui fait la richesse de nos genres préférés. On trouve bien quelques animaux : chien (Number nine), rhinocéros (La Lumière des morts), hyène (La Profondeur des tombes), et ici éléphant ou vautours, mais pas trace de licorne ou de loup. Pourtant, ne nous y trompons pas, si Di Rollo n'a rien compris aux « attentes du marché, coco », s'il ne nous propose pas de trilogie en six volumes de 500 pages la pièce, c'est pour nous offrir bien plus que cela : un aller simple pour Humain-Land. Le matériau qu'il travaille, c'est les tripes. Celles de ses personnages — certains le lui reprocheront sûrement — et, surtout, les siennes. Ses livres sont remplis de son cœur, de son sang, et nous ouvrent les portes d'univers entiers. Et, qu'on le veuille ou non, il y a bien plus de noir dans l'univers que d'étoiles qui brillent. Alors oui, les romans de Di Rollo sont noirs, et celui-ci peut-être encore plus que les autres.

Si l'on pouvait trouver quelques excuses aux atrocités perpétrées par les « héros » meurtris des précédents ouvrages, John Stolker, personnage principal de Meddik n'a, lui, aucune circonstance atténuante. Pas même la drogue, qu'il consomme à outrance. Fils d'un Juste, la caste dominante sur Terre, vivant dans un immeuble de plus de trois cents étages surplombant Grande-Ville, Stolker est rongé par la haine. Haine de son père, Blöm (Blöm Stolker/Bram Stoker : le père comme vampire ?), tout-puissant dirigeant de la Gormac, n'hésitant pas à tuer des enfants lors de l'essai d'un prototype. Haine de la religion qu'on tente de lui enfoncer dans le crâne à coups de phrases toutes faites. Haine de ce qu'il deviendra s'il reste dans le quartier des Justes. La haine jusqu'à l'amour (ses « amis » Susie et Roman). La haine jusqu'à la mort. Après un premier meurtre, Stolker fuit le quartier protégé, pour plonger dans Grande-Ville, cité survolée par d'immenses vautours mutants prêts à emporter quiconque sortirait à découvert ou serait tué dans les combats d'une bien mystérieuse guérilla. Il peut alors laisser ses instincts meurtriers s'exprimer et rencontre, grâce à la drogue, l'éléphant géant qui sera son guide et son protecteur : Meddik (Meddik/Merrick : elephant man, l'autre visage de Stolker, monstre au cœur tendre ? Meddik/Mais Dick : hommage au maître ?…).

Et ces quelques lignes ne suffiront jamais à rendre compte de l'extrême richesse du roman écrit par Di Rollo. Il radicalise encore sa démarche artistique, non seulement dans l'horreur, mais également dans la construction de son récit, faisant de l'ellipse et de la métaphore des armes de dissection massive. Chaque fois que l'on croit percevoir ses intentions, il se dégage d'une pirouette et nous entraîne sur une autre voie. Ainsi Meddik est/n'est pas : un roman de S-F politique, une histoire d'amour, un pamphlet anti-religieux, un cri de rage, une ode à l'humain… Non, décidément, Thierry Di Rollo n'a rien à faire dans le PIF. C'est un écrivain. Un grand écrivain, auteur d'une œuvre exigeante dont je ne pourrais me passer.

Pascal GODBILLON

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