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Les critiques de Bifrost

Zombi blues

Zombi blues

Stanley PÉAN
J'AI LU
320pp - 6,70 €

Bifrost n° 14

Critique parue en juillet 1999 dans Bifrost n° 14

Ils ne doivent pas être bien nombreux, ceux pour lesquels le nom de Stanley Péan évoque quelque chose. C'est pourtant en 1987, dans le numéro 27 du prozine Antarès, que l'on a pu découvrir ce jeune auteur québécois d'origine haïtienne, avec « Ban mwen yon ti-bo », un texte qui jouait sur l'ambiguïté de la rationalisation pour forger un fantastique moderne. De façon un peu inattendue, Stanley Péan nous revient donc par la grande porte après plus de dix ans, et chez un éditeur d'importance. Le Québec étant à l'honneur lors du dernier Salon du Livre, nous ne pouvions décidément trouver meilleure occasion pour vous parler de cet auteur.

Thriller vaudou sur les franges du fantastique le plus moderne et du polar politique bien noir et saignant assorti d'explications rationnelles, Zombi blues nous entraîne dans le Québec de la diaspora haïtienne. L'histoire récente d'Haïti reste encore marquée de l'empreinte sinistre des Duvalier, Papa Doc et Baby Doc, et de celle de leurs tontons macoutes. Tout commence donc quand Bartholomew Minville, dit Barracuda, macoute en exil, arrive à Montréal avec sa clique, la bénédiction des autorités et les honneurs de la presse : ce que les victimes des duvalieristes vivent comme une provocation. Ceci dit, Minville ne se contente pas d'être un vulgaire macoute, il est de plus adepte de la magie noire….

Le roman de Stanley Péan est un livre mosaïque, en toile d'araignée ; une toile bien évidemment tissée par l'ex-tonton macoute. Tous les protagonistes glissent progressivement vers lui dans une atmosphère de fumée et de jazz alors que la violence enfle en un crescendo d'un rare niveau. C'est un roman noir, au double sens du terme, noir et rouge sang, d'ailleurs, d'une violence pure et brutale, sauvage et torride, très sensuel, dont certains passages flirtent avec le bon porno et font fi de tabous bien ancrés.

Ce premier roman ne révolutionnera pas le fantastique ; ce n'est pas là un impérissable chef-d’œuvre. Non. Ce qui ne signifie pas que le livre soit mauvais, loin de là. Une grande part de l'intérêt réside dans l'originalité du contexte d'où est extrait le motif du livre. Le fantastique en demi-teinte est habillement rationalisé et tranche avec l'usage commun du folklore vaudou tel qu'on le rencontre souvent dans les œuvres de genre. Point de zombies, d'ailleurs. Les personnages sont remarquables et font toute la force de ce roman. Minville, en tonton macoute sadique et sanguinaire mal blanchi d'un verni d'hypocrisie, est un must. Stanley Péan a su se consacrer à son salaud sans le caricaturer tout en allant très loin, et en faire un trou noir dans lequel tout le livre plonge d'un seul mouvement. Il a distillé son attention à chacun de ses personnages, n'en a négligé aucun, leur insufflant une vie qui donne à la mort un relief plus intense et puise au rythme du jazz.

Bref, il va bien falloir désormais considérer Stanley Péan comme une valeur montante du fantastique francophone, car c'est une authentique réussite que ce premier roman.

Jean-Pierre LION

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