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Les critiques de Bifrost

Un café sur la lune

Un café sur la lune

Jean-Marie GOURIO
JULLIARD
340pp - 20,00 €

Bifrost n° 62

Critique parue en avril 2011 dans Bifrost n° 62

Après avoir écumé tous les bars, bistrots et autres rades de France, Jean-Michel Gourio est parti visiter ceux qui fleurissent en Europe. Puis sur d’autres continents. Finalement, la Terre était trop petite pour lui. Il lui fallait la Lune. Et pas cette Lune froide, pleine de poussière, que le pied humain a à peine marqué au siècle passé. Pas cette Lune habitée d’hommes en scaphandres sans visage. Non. Mais bien une Lune reflet de notre Terre. Un monde en devenir, avec ses mines et ses colonies. Ses habitants, volontaires ou non. Ses exilés, ses déportés. Ses riches et ses pauvres. Ses laissés-pour-compte et ses privilégiés. Et maintenant, son bar. Le premier bar sur la Lune. Ouvert le 15 juin 2095.

Les patrons : Bob Feinn l’Irlandais et TinTao la Chinoise, la force alliée à la finesse. Les clients : une galerie de trognes dignes des meilleurs troquets parisiens. Repérés et engagés pour nous par l’auteur dans le monde entier. Faites place à Milus, qui a fui la Sicile suite à un différend avec la mafia. A Vérex, sculpteur halluciné qui semble lui-même être une sculpture de bronze. A Spartacus, actuellement jardinier, au passé disparu dans les limbes. A Triton, autrefois Werther, au regard de glace, l’ange exterminateur. Mais aussi à Billy Bully Crâne de piaf ; à la Môme Lune au contact électrique ; à une troupe de Touaregs qui a troqué les déserts de la Terre pour les vastes étendues poussiéreuses de la Lune ; aux Flying Stones, un groupe à l’arrivée et à la musique fracassantes. Et, surtout, à Balthazar, le moineau parisien, sans qui ce bar ne serait pas un vrai bar. Petit oiseau qui apporte avec lui les souvenirs de toutes les miettes qu’il a avalées, de toutes les mains qui l’ont accueilli, de tous les visages qui l’ont observé. De tous les rades qui l’ont hébergé.

Ce roman poétique et hypnotique ne se prend pas au sérieux. Il est construit comme les récits d’enfants. Une idée mène à une autre, qui conduit à une suivante. Et ainsi de suite. Un récit en escalier qui entraîne le lecteur d’un personnage à son successeur sans ordre apparent, sans lien prononcé. D’un court chapitre à un court chapitre. Avec juste la force d’une petite pensée, d’un fil ténu. Mais qui suffit, si l’on accepte de se laisser prendre dans les rets de ce conte. Dans cette langue au fil délié, pelote se défilant devant nos yeux. L’auteur doit d’ailleurs être un adepte des miscellanées, ces recueils de listes de tout ordre, tant il nous en inonde. Tout est prétexte à énumération : clients du bar, pierres précieuses, couleurs, membres d’une bande dont on découvre tous les prénoms. Et cela renforce cette sensation d’ébriété. On est comme pris dans cette histoire folle, prisonnier de ses personnages au destin sans égal.

Et l’on est prêt à lever la tête, une bière à la main, vers cette Terre lointaine et proche. Les oreilles pleines des chants violents des Flying Stones, des pépiements de Balthazar, des paroles tantôt douces, tantôt menaçantes de Digitale Caribou Couille de saumon Pine d’ours. On s’attend à se retrouver accoudé à Gabriel, le quartz géant qui sert de comptoir, serré entre Angus et Milus et à crier : « Patron, une autre mousse ! C’est ma tournée ! »

Raphaël GAUDIN

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