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Les critiques de Bifrost

Tracés du vertige

Tracés du vertige

Al SARRANTONIO, Dan SIMMONS, Ursula K. LE GUIN, Laura WHITTON, Kathe KOJA, Barry N. MALZBERG, Michael MOORCOCK, Thomas Michael DISCH, Joyce Carol OATES, James Patrick KELLY, Harry TURTLEDOVE, P. D. CACEK, Stephen BAXTER, Paul DI FILIPPO, Gregory BENFORD
FLAMMARION
25,00 €

Bifrost n° 37

Critique parue en janvier 2005 dans Bifrost n° 37

Sous-titré Trente Nouvelles pour redéfinir l'imaginaire de demain, cette anthologie se définit comme l'équivalent contemporain des Dangereuses Visions de Harlan Ellison qui éclatèrent en 1967 comme un coup de tonnerre. Les auteurs phare sont cités sur la couverture : Dan Simmons (l'ascension du K2 de l'Everest en compagnie d'un extraterrestre mérite l'effort de la lecture), Stephen Baxter (intéressante histoire d'humains clonés et à durée de vie limitée), Larry Niven (une discussion convenue avec des extraterrestres à propos de l'évolution d'espèces intelligentes), Gene Wolfe (qui reprend la trame usée du « Prix du danger » de Sheckley, avec un certain brio cependant), Ursula Le Guin (brillant récit d'une race construisant une cité pour ses ennemis), Gregory Benford (qui allie science et religion à partir d'un simple décalage lunaire), Joe Haldeman (peu convaincant récit à chute autour d'un serial killer pas comme les autres), Michael Marshall Smith (un texte fantastique basé sur le voyeurisme, digne d'un Richard Matheson) et Michael Moorcock (qui reprend à son compte le surréaliste personnage d'Engelbrecht de Maurice Richardson le temps d'une curieuse conversation avec Dieu).

À ces personnalités se joignent des auteurs de littérature générale comme Joyce Carol Oates (avec une aussi étonnante que cruelle remise de diplômes) ou David Morrell (l'auteur de Rambo signe un beau chassé-croisé d'entraide filiale et paternelle sur le thème de la cryogénie), de fantastique comme Kate Koja (dans une fructueuse collaboration avec Barry Malzberg), voire des débutantes comme Laura Whitton (plus intéressante sur la colonisation de mondes habités que la nouvelle d'Ardath Mayar). D'autres prestigieux auteurs de S-F sont présents : Thomas Disch (dont l'univers informatique post — moderne est, chez lui, réellement dépaysant), Paul di Filippo (dont le loufoque tombe à plat), Kit Reed (qui ne parvient pas à intéresser le lecteur à l'ambiguë relation du malfrat à sa garde du corps), Rudy Rucker et John Shirley (avec une étonnante idée de poche quantique nanomatricielle permettant de s'enfermer à ses risques et périls dans une dimension où le temps s'écoule différemment), etc. Quelques heureuses surprises viennent de noms peu connus comme « Des Visiteurs uniques » de James Patrick Kelly, « Entre les disparitions » de Nina Kiriki Hoffman.

À peu près tous les thèmes sont abordés, avec différents traitements, classiques ou modernes (un peu). Il n'y a cependant rien de neuf ni de fracassant dans cette anthologie : nombre de ces récits auraient pu être écrits il y a vingt ans ou plus. Il faudra en outre apprendre à fermer les yeux sur les nombreuses coquilles et fautes de frappe qui gâchent la lecture de cet ouvrage dépourvu de correcteur, même informatique (ni non plus d'ailleurs de noms d'auteur dans son sommaire !!). Entendons-nous bien : la grande majorité des textes sont bons, voire très bons, mais leur somme ne débouche pas sur la bombe littéraire censée remodeler le paysage de la science-fiction, comme l'espérait Sarrantonio qui fait, en passant, baisser la qualité de l'ensemble avec sa propre nouvelle, quelconque. Ce ne sont pas les auteurs qui ont manqué leur coup, mais Sarrantonio qui peine à redéfinir l'imaginaire de demain, comme le fit Ellison à l'aide de commentaires marquant des refus et des enthousiasmes balisant un nouvel imaginaire. Ceux de Sarrantonio ne donnent le vertige que par leur vacuité : le tracé n'est pas lisible car aucun trait ne vient relier les trente points que représentent les nouvelles d'auteurs prestigieux. À sa décharge pourra-t-on reconnaître qu'il est moins aisé à décrypter de nos jours qu'à la fin des sixties. Peut-être ne fallait-il pas convoquer des auteurs de littérature qui vont effectivement au-delà de ce qu'ils ont écrit à ce jour, mais n'abordent que les rivages déjà arpentés par les Indiens de la S-F. L'anthologie est à recommander aux amateurs de S-F désirant lire des récits de qualité, à condition de refuser d'y voir un manifeste pour l'imaginaire de demain. Ellison peut dormir tranquille. Ses Dangereuses Visions ont peut-être vieilli, pas sa réputation.

Claude ECKEN

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