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Les critiques de Bifrost

L'Épée de l'Empereur - 2

L'Épée de l'Empereur - 2

Baku YUMEKAKURA
GLENAT
288pp - 15,50 €

Bifrost n° 61

Critique parue en janvier 2011 dans Bifrost n° 61

[Critique commune à The Sky Crawlers, Library Wars T1 : Conflits et Taitei no ken T1 : L'Épée de l'empereur.]

De la science-fiction japonaise, on connait un peu le cinéma, davantage les anime, et plus encore les mangas, mais rien ou presque côté littérature, à l’exception de quelques auteurs aux limites du genre, dont nous nous faisons de temps à autre l’écho dans ces pages (Murakami Ryû, Murakami Haruki). C’est ce vide que semble vouloir combler Glénat avec cette nouvelle collection. Et si les trois auteurs choisis pour l’inaugurer sont de parfaits inconnus, leurs œuvres en revanche nous sont déjà précédemment parvenues par le biais de diverses adaptations.

De The Sky Crawlers, on a pu voir il y a un an l’anime qu’en a tiré Mamoru Oshii, le réalisateur du classique Ghost in the Shell. Une version loin d’avoir fait l’unanimité (je vous renvoie notamment à la critique de Pierre Stolze in Bifrost n°58). En tous cas, on ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir été fidèle à son matériau d’origine.

Le roman met en scène un groupe d’enfants particuliers, baptisés kildrens, pilotes de chasse participant à une guerre aérienne. Entre deux missions, ils passent le temps comme ils peuvent, dans une sorte de présent perpétuel et figé, sans souvenirs du passé, sans autre futur envisageable que de nouveaux combats, jusqu’à la mort. Longtemps on ne saura rien de la nature exacte de ces personnages, ni du conflit auquel ils participent. De manière assez artificielle (c’est le principal défaut de ce roman), Mori Hiroshi repousse ces révélations jusqu’aux dernières pages du livre.

Malgré cela, The Sky Crawlers fonctionne, avant tout grâce à l’ambiance singulière qu’il distille. Baignant dans une torpeur et une étrangeté permanentes, impeccablement servi par une écriture d’une élégante sobriété, le récit nous conduit vers une conclusion aussi tragique qu’inévitable. Créés pour tuer, ces enfants, malgré toutes leurs tentatives, s’avèrent incapables de donner une autre direction à leur vie. Sous ses airs nonchalants, le roman de Mori Hiroshi est en réalité d’une terrible noirceur, et le portrait qu’il fait de cette génération sacrifiée est particulièrement touchant.

Dans un tout autre registre, le premier tome des Library Wars de Hiro Arikawa, dont l’adaptation en manga est publiée par Glénat depuis quelques mois, repose sur une idée incongrue mais plutôt amusante : en 2019, dans un Japon où une censure stricte encadre toutes les œuvres culturelles, les bibliothèques font figure de dernier bastion de la liberté d’expression. Et face à des groupes extrémistes n’hésitant pas à tuer pour imposer leur point de vue, les bibliothécaires ont dû s’organiser en force paramilitaire pour se défendre. Imaginez le vôtre dissimulant un fusil d’assaut sous son bureau et vous aurez une petite idée du futur dans lequel se déroule le roman.

Chaque partie de ce livre met en œuvre l’un des cinq articles composant la loi sur la liberté des bibliothèques : droit de collecter et de proposer librement des documents, obligation de protéger la confidentialité des lecteurs et de s’opposer à toute forme de censure, nécessité de se défendre contre quiconque menacerait ces prérogatives. Ainsi voit-on les bibliothécaires refuser d’aider la police dans une enquête sur une série de meurtres, organiser un débat sur l’accès des jeunes à certaines œuvres, et de temps à autre sortir la grosse artillerie. La plupart de ces épisodes renvoient à des sujets d’actualité récurrents, au Japon comme ici, et on ne reprochera certainement pas à l’auteur sa condamnation de toute forme de censure, mais sa réflexion sur ces questions reste superficielle et n’apporte au bout du compte à peu près rien au sujet. Surtout, trop souvent, Library Wars prend des allures de bluette assez risible. L’héroïne du roman, Iku Kasahara, nouvelle recrue du corps des bibliothécaires, passe énormément de temps à la recherche du prince charmant. La demoiselle minaude beaucoup, chouine énormément, et plombe le roman par ses gamineries à répétition. Les autres personnages, instructeur grincheux, collègue neuneu ou bonne copine écervelée, sont tout aussi caricaturaux et achèvent de faire basculer ce premier volet du côté du roman sentimental pour midinettes. Les lecteurs n’appartenant pas à cette catégorie feraient donc bien de s’abstenir.

Comme Library Wars, Taitei no Ken a été adapté en manga — et également publié par Glénat. C’est à peu près le seul point commun qu’on pourra trouver à ces deux œuvres. La série de Baku Yumemakura se déroule dans le Japon du XVIIe siècle, et introduit une dose de science-fiction dans le roman historique. Le récit débute lorsqu’un ovni s’écrase dans une zone montagneuse. On ignore ce qui se trouve à son bord, mais cet évènement va bouleverser la vie d’une poignée de personnages : Genkuro Yorozu, un guerrier solitaire au physique impressionnant armé d’une épée gigantesque, Mai, une jeune femme poursuivie par une armée de tueurs, Saizo, son protecteur, et quelques autres… Dans ce premier volume, Baku Yumemakura n’explicite quasiment aucun élément de son intrigue, et se contente d’enchainer les scènes de combat, lesquelles s’avèrent particulièrement sanglantes. On cesse très vite de compter les décapitations, les éventrations et les démembrements. On cesse encore plus vite de s’intéresser à cette succession mécanique de carnages, tournant au ridicule à force d’outrance. Il n’est qu’à voir cette scène grotesque dans laquelle un guerrier continue de se battre comme si de rien n’était tandis que son adversaire lui tranche membre après membre (p. 25). L’Epée de l’empereur, c’est le Sacré Graal des Monty Python réécrit par Uwe Boll. Pathétique.

Premier bilan mitigé donc pour cette nouvelle collection. Si The Sky Crawlers mérite le détour et nous fait découvrir un univers fort singulier, on conseillera en revanche d’ignorer les deux autres, produits de série des plus médiocres.

Philippe BOULIER

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