Connexion

Les critiques de Bifrost

Sociales fictions - Les androïdes rêvent-ils d'insertion sociale ?

Sociales fictions - Les androïdes rêvent-ils d'insertion sociale ?

Gérard KLEIN, J(ohn Cameron Audrieu) B(ingham Michael) MORTON, Christophe EVANS, Sylvie OCTOBRE, François ROUET, Harry HARRISON, Isaac ASIMOV, Ann Warren GRIFFITH, Robert SHECKLEY, William GIBSON, Philippe ROUYER, Jean-Pierre HUBERT, Lee HOFFMAN, Kurt
BREAL
288pp - 23,00 €

Bifrost n° 37

Critique parue en janvier 2005 dans Bifrost n° 37

L'idée est à la fois insolite et naturelle : faire de la S-F le prétexte à un manuel d'introduction à quelques thèmes de sociologie et d'économie. Naturelle, parce que les variations sur les sociétés humaines nourrissent bien des récits de S-F, et plus particulièrement ceux des années 50 qui dominent dans ce recueil (8 sur 12 ont été publiés à l'origine entre 1952 et 1964) ; insolite, parce que ce livre est un objet hybride, dans lequel le texte pédagogique dépasse en volume celui des nouvelles, et s'adresse non à un public d'amateurs de S-F, mais plutôt de lycéens de terminale — son éditeur est d'ailleurs aussi connu dans le domaine scolaire, qu'il est absent du littéraire (à l'exception des livres pour la jeunesse).

La main de Gérard Klein (au-delà de sa brève et lucide introduction) se sent dans le choix des nouvelles, dont pas moins de cinq proviennent du seul volume Histoires de demain de la Grande anthologie de la Science-Fiction du Livre de Poche (1974), et bien sûr dans les préoccupations économiques. L'emballement de la consommation, qui a frappé les esprits dès les années 50, constitue le ressort de pas moins de quatre textes (dont l'étonnant « Toujours plus vite ou Monsieur fait le marché », qui, dès 1930, caricaturait la mondialisation sous la plume de l'humoriste français Cami). Explosion de la population et, de façon corrélée, soumission volontaire à un pouvoir de plus en plus odieux, sont sous-jacents à un autre quatuor de textes, tandis que les autres passent en revue le machinisme (et le chômage qu'il entraîne), les réseaux informatiques, le conflit des générations (version moderne : les vieux ne veulent plus vieillir, et ne laissent pas la place), et le choc des cultures (ce dernier mis en scène avec un humour ravageur par Scheckley dans un texte vieux de 50 ans, qui est pourtant encore plus d'actualité aujourd'hui : les extraterrestres qui trucident périodiquement leurs femmes sont poussées par ces dernières à exterminer ces Terriens odieusement immoraux, pour qui la gent féminine a droit à la vie ; pensez aux islamistes fondamentalistes des années 2000).

J'ai parfois eu l'impression que les développements sur les thèmes socio-économiques étaient un peu lourds. Mais ils ont été écrits dans le souci d'initier à des domaines d'étude, plus que dans celui d'éclairer les textes littéraires. Cela n'exclut pas l'humour, ou des remarques intéressantes. De façon générale (mais peut-être est-ce le reflet de mes propres lacunes), je les ai trouvés plus intéressants sur leur sujet, que dans l'analyse — assez platement explicative — des textes.

L'amateur de S-F à l'état pur verra ce livre comme une curiosité ; aucun des textes n'est inédit, et pour des raisons de place disponible, et peut-être aussi pour les concentrer sur leur propos principal, les textes ont subi des coupures qui vont du membre de phrase à la demi-page, indiquées en général (j'ai relevé deux omissions sur les trois nouvelles que j'ai examinées de près). Cela a parfois tendance à donner un côté sec, hâtif, à des textes qui, dans le cas de ceux des années 50, sont déjà écrits avec beaucoup de concision. C'est plus gênant quand, dans le cas du « Coût de la vie » de Sheckley, le commentaire cite une phrase (« au lieu de courir toute la journée pour pousser une demi-douzaine de boutons différents », p. 118) qui figurait… dans un paragraphe qui a été coupé ! (en bas de la page 109).

À ces petites négligences près, le livre est un objet bien fait, agréablement présenté, dont l'iconographie utilise largement la couleur. Et surtout, toutes les nouvelles sont illustrées par d'admirables dessins de François Rouiller, dont on ne se lasse pas. Si ça ne branche pas vos neveux sur la S-F, ça leur fera peut-être supporter avec plus de patience leurs cours d'économie !

Pascal J. THOMAS

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 113
PayPlug