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Les critiques de Bifrost

Repères sur la route

Repères sur la route

Roger ZELAZNY
DENOËL
6,50 €

Bifrost n° 55

Critique parue en juillet 2009 dans Bifrost n° 55

« Ne sais-tu pas que le Temps est une super autoroute avec d’innombrables bretelles d’entrée et de sortie, et aussi des routes principales et des routes secondaires, que les cartes ne cessent de changer, que très peu de gens seulement connaissent les moyens de trouver les rampes d’accès ? » (page 56).
Reyd Dorakeen est capable de voyager sur la Route… La Route ? Elle relie toutes les époques et ceux qui, comme lui, peuvent la parcourir ont accès à tous ses méandres et aux multiples univers parallèles qui la parsèment, comme autant de voies secondaires. Peu de gens con-naissent son fonctionnement et savent s’y déplacer, mais ils existent depuis toujours et viennent de toutes les périodes de l’histoire. Attention cependant à ne pas oublier celle d’où l’on vient, sous peine de la voir disparaître et, comme Reyd, de ne plus savoir qui l’on est, cherchant ses origines, trafiquant le temps en vue de recréer sa rocade perdue. Mais quand quelqu’un décide de le tuer, la route devient vite un repaire d’assassins redoutables, sortis de toutes les époques et plus étranges les uns que les autres. Accompagné d’une IA implantée dans un exemplaire des Fleurs du mal, recherché par le fils qu’il aurait pu avoir, et sujet à d’étranges crises de personnalité qui le font rajeunir, Reyd se démène pour survivre et comprendre, à travers le temps. 
On l’a compris, on retrouve donc ici le thème zelaznien de la multiplicité des mondes, s’articulant autour d’un héros atypique que son existence amène à dépasser le statut d’être humain. La Route, en effet, n’est pas linéaire, elle ne couvre pas seulement l’histoire telle que nous la concevons, mais aussi toutes ses alternatives et ses possibilités, et rien n’empêche un voyageur de créer son univers personnel à l’époque de son gré, remodelé selon ses désirs. La police de la route, bien lointaine dans le roman, apparaît un peu dépassée et semble n’être là que pour faire démarrer l’intrigue. Reyd, quant à lui, est un personnage attachant, cynique ou simplement rendu indifférent par l’expérience de la route et de ses incursions dans le temps.
« Bien sûr je saisis votre point de vue, même s’il dénote chez vous un manque de perspective historique. Mais il est faux de dire que…
– Faux, mon œil ! Et si vous avez de la chance, quelqu’un viendra un jour du plus haut de la Route et vous rendra le même service. Si ça arrive, parlez-lui de l’histoire. » (page 38). 
Pour autant, le personnage semble tout juste esquissé. Le lecteur sait à peu près ce que Reyd veut faire, mais pas grand-chose de son passé, tout en étant toujours surpris par sa manière d’agir. Car Zelazny explique rarement quelles sont les règles de son univers, c’est au lecteur de les déduire en fonction des événements, d’interpréter — et évidemment, quand le maître joue bien son coup, de tomber par terre. Sans jamais évoquer clairement les situations, juste en suggérant des touches qui mettent en place la toile de fond, l’univers devient assez solide pour passer au second plan et laisser place au barnum zelaznien et ses cohortes de monstres hybrides et personnalités baro-ques, pour le bonheur des habitués et la fascination de ceux embarqués en cours de route. Pour autant, à cause de la brièveté de leurs apparitions ou simplement le talent de l’auteur qui ne force jamais le trait, ils ne sombrent jamais dans le grotesque et la caricature, comme certains passages auraient pu le faire craindre. 
« La mort de Chadwick ! hurla-t-il. Par le tyrannosaurus rex! Sous la direction du marquis de Sade ! » (page 190).
Un robot extraterrestre et potier à ses heures, des IA planquées dans des recueils de poésies et le marquis de Sade chevauchant un tyrannosaure, tout existe quelque part, et si ça n’existe pas, la Route peut le créer pour vous, ce qui donne lieu à quelques passages jouissifs, hélas assez rares puisque le roman ne dépasse guère les 200 pages. Une brièveté regrettable car l’histoire aurait pu être plus den-se et détaillée, l’univers plus étendu, sans pour autant perdre la mélancolie que lui confère la légèreté et la poésie du style de l’auteur. C’est cette même brièveté qui peut expliquer une fin rapide et impromptue, loin de ce qu’aurait pu suggérer le début du roman et laisse penser que Repère sur la Route serait plus une longue — très longue — nouvelle, qu’un roman. 
Ce roman ressemble beaucoup au cycle des Princes d’Ambre, mais n’atteint pas le niveau d’un Seigneur de lumière. Il reste toutefois un bon Zelazny, ce qui signifie : une idée intéressante, un univers original et une écriture agréable. 

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