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Les critiques de Bifrost

Quand je serai grand, je serai mort

Quand je serai grand, je serai mort

Nicolas LIAU
LES 2 ENCRES
150pp - 14,00 €

Bifrost n° 56

Critique parue en octobre 2009 dans Bifrost n° 56

Nouvel auteur chez un éditeur tout jeune, ce livre est plus qu'une incitation. C'est un véritable impératif : celui de féliciter l'auteur et l'éditeur pour la qualité de l'œuvre.

Le fantastique romantique et morbide est un sujet mille fois vu et revu, et hautement casse-gueule pour pseudo-baudelairiens d'opérette. On y trouve néanmoins des perles, telles que les Musiques liturgiques pour nihilistes (le Bélial') de Brian Hodge — on nous reprochera peut-être de prêcher pour notre paroisse, mais si vous lisez ce recueil, vous verrez que l'éloge est plus que justifié. La grande force de Nicolas Liau, c'est d'avoir opté pour le conte court. Il crée ainsi une certaine distance, et évite de tomber dans le mauvais gore. Car il s'intéresse beaucoup plus aux cadavres qu'à leur mort. Il s'intéresse aussi beaucoup à l'attitude des vivants. Ainsi dans « Pour qui croassent les corbeaux » (publié initialement dans le très recommandable Borderline), qui nous conte l'histoire d'une fillette tentant d'éloigner les corbeaux du cadavre d'un pendu. Comme tout conte, la plupart des textes s'ouvrent sur le fameux « Il était une fois ». Mais l'auteur n'hésite pas à louvoyer, en optant aussi pour des « Il y avait une fois », coquetterie jamais superflue, car Nicolas Liau sait justement tirer un judicieux parti de ce contre-pied. On l'imagine d'ailleurs en dandy romantique, car il en épouse merveilleusement les thèmes, mêlant cependant son style au conte, comme nous l'avons vu. Du dandysme, il a également pris le raffinement, ciselant ses textes elliptiques et enchanteurs, qui ne sont pas sans rappeler par moments Francis Berthelot. Comme dans « La complainte des xylanthropes », où un homme abandonné par sa femme apprend le langage des arbres. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils sont ravis de trouver un interlocuteur, car ils ont beaucoup de choses à nous dire. On y retrouve aussi cette noirceur constante, parfois rehaussée d'une pointe d'humour, noir bien entendu.

Erudit et reconnaissant, il sait également mêler le contemporain et la littérature classique à travers les clins d'œil. Du côté contemporain, « J'irai marcher sur vos tombes » affiche une nette connivence, pour une histoire sans rapport, si ce n'est la noirceur, avec le polar de Vian. Une belle histoire de cimetière qui résumerait assez bien le livre : s'emparer des lieux communs pour mieux surprendre en s'en détournant. Du coté classique maintenant, « Les rêveries du promeneur suicidaire » est un clin d'œil rousseauiste qui a été éclaté en exergue de chaque conte. Le recueil s'ouvre sur le début du texte, et chaque texte du recueil avec la suite de ce conte. Qui s'avère au final une fantaisie assez futile, et un procédé qui fait perdre au texte le coté percutant qu'il aurait eu en restant d'un seul tenant. S'il faut vraiment trouver un défaut au recueil, eh bien le voici.

À part ça il n'y a rien à redire : c'est du grand art. Du grand art que l'on conseillera toutefois à un public bien ciblé, amateur de contes fantastiques morbides et elliptiques, ainsi qu'aux amateurs des bijoux que recèle notre langue pour qui se donne la peine de la ciseler.

Olivier PEZIGOT

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