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Les critiques de Bifrost

Noir

Noir

K. W. JETER
J'AI LU
468pp - 18,00 €

Bifrost n° 32

Critique parue en octobre 2003 dans Bifrost n° 32

Dans un futur proche, DynaZauber, une des corporations les plus puissantes et les plus influentes, se retrouve avec le cadavre d'un de ses cadres sur les bras. Pour résoudre ce meurtre, la firme fait appel à McNihil, ex-flic reconverti en privé. Un drôle de privé, qui refuse de vivre dans son temps. Son truc, c'est les polars noirs des années cinquante : il s'est fait greffer sur les yeux un système sophistiqué qui lui permet d'appréhender le monde comme dans un film à la Bogart, noir et blanc compris. McNihil n'aime pas DynaZauber. Mais lorsqu'il examine le cadavre, il aime encore moins ce qu'il voit — une vision qui le ramène à un passé douloureux qu'il préférerait oublier. C'est pourquoi il refuse tout net de travailler sur cette affaire. Mais DynaZauber ne l'entend pas de cette oreille car, justement, ce passé fait de McNihil l'homme de la situation. Contraint et forcé, le privé remonte la piste du meurtrier, qui le conduit vers son pire cauchemar : l'Angle. Un no man's land, un territoire virtuel où règne le chaos et où toutes les expériences sont permises, surtout si elles font parties du domaine du tabou…

K. W. Jeter, sans conteste l'un des auteurs modernes les plus intéressants, l'un des plus exigeants, aussi, a encore frappé. Sauf que cette fois il s'est fait mal aux phalanges : son roman n'est pas une réussite. L'idée était pourtant alléchante et le mélange, polar noir des années cinquante/cyberpunk, tout à fait convainquant. Si l'histoire en elle-même n'a rien d'une innovation, son traitement, qui passe par le filtre suranné et très cliché d'un vieux film de privé usé et désabusé, clope au bec, chapeau mou et whisky lové dans le creux de la main, offre un contraste fascinant avec le monde cyberpunk fermement ancré dans l'ultra-technologie et le virtuel qui l'entourent. Malheureusement, le livre souffre de longueurs et de maladresses qui rendent le récit difficile à suivre. Et, pour la plupart, ce sont des défauts inhérents au cyberpunk. Des pages et des pages d'exposition sous forme de vastes monologues introspectifs et une action incroyablement longue à se mettre en place, de la poésie urbaine passablement glauque qui noie la compréhension sous un déluge de mots et rend l'histoire difficile à appréhender. Une complaisance dans la description des scènes de sexe orgiaques et des exécutions sanglantes et cliniques qui fait bâiller d'ennui. Bref, une histoire qui s'essouffle et un lecteur qui souffre et s'impatiente rapidement s'il n'est pas pris par la magie des mots.

Le tout n'est pas vraiment indigeste, mais pèse quand même sur l'estomac. Il reste malgré tout quelques perles qui mettent franchement mal à l'aise, notamment un discours limite fascisant de la part du héros, qui fait dresser les cheveux sur la tête et pourrait choquer les âmes sensibles. Un discours quelque peu maladroit, certes, mais non sans humour. À ne surtout pas prendre au premier degré !

Sandrine GRENIER

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