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Les critiques de Bifrost

Morte Saison

Morte Saison

Jack KETCHUM
BRAGELONNE
288pp - 20,00 €

Bifrost n° 50

Critique parue en mai 2008 dans Bifrost n° 50

Après Une fille comme les autres, Bragelonne nous propose maintenant le premier roman de Jack Ketchum, qui date de 1981, Morte Saison.

La postface éclaire la difficile naissance éditoriale de ce roman. C'est, nous prévient-on, une version non expurgée. Pas vraiment le genre de bouquin à offrir à vos enfants… Les éditeurs américains — on était alors en 1980 — croyaient bien tenir là une œuvre d'exception mais encore fallait-il l'assagir, la policer, l'édulcorer… Tant et si bien que le manuscrit original finit à la poubelle, au grand dam de son auteur. C'était cependant encore trop pour une Amérique cul béni (quoiqu'il aura fallu plus de 25 ans pour le lire en français !). Les éditeurs n'ayant pas joué le jeu avec la version affadie, Jack Ketchum exigera une restauration

Il faut admettre que ça décoiffe ! Cette histoire n'est pas sans rappeler Les Enfants de Dracula de feu Richard Lortz, en plus sauvage, plus radicale et complaisante, ainsi que le film de James Dickey Délivrance. On n'est plus dans les bayous ni à New York, mais dans le Maine cher à Stephen King. Le taux de disparitions dans la région est particulièrement élevé du fait de la bande de dégénérés incestueux et cannibales qui y sévit : des hommes, mais aussi des femmes et des enfants…

Comme de bien entendu, trois couples de jeunes citadins n'ont rien trouvé de mieux à faire que de venir passer quelques jours dans le coin. Le roman s'étale sur trois jours. Le premier pour la mise en place, le second pour faire monter la pression et le dernier pour l'incroyable débauche de sauvagerie. Egorgements, éviscération, viols, décapitation, émasculation, dévoration à vif, amputation, barbecue humain et même l'art de confectionner des saucisses de chair humaine, tout y passe crûment malgré la cuisson… En dépit de la surenchère, Jack Ketchum évite de sombrer dans le ridicule bouffon, notamment grâce au maintien de la tragédie finale. Une happy end aurait fait trébucher le récit dans un grotesque qu'il côtoie tout du long. Cependant, trop d'horreur tue l'horreur.

Parce qu'il est moins crédible, Morte Saison est nettement en retrait par rapport à Une fille comme les autres. La banalité de l'horreur de ce dernier venait du sentiment que l'on éprouvait que de tels événements pouvaient fort bien se produire dans la cave d'à côté. Rien de tel ici. On ne croit pas à la tribu de cannibales qui sévit au fond des bois. On a un sentiment d'exagération. Après le précédent chef-d'œuvre, on ne peut être que déçu par Morte Saison, qui n'en est pas moins un bon roman d'horreur, glauque à souhait, bien rythmé, rondement mené et horrible… Il ne nous reste donc plus qu'à piaffer en attendant le prochain.

Jean-Pierre LION

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