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Les critiques de Bifrost

Mission Basilic

Mission Basilic

David WEBER
L'ATALANTE
496pp - 21,90 €

Bifrost n° 15

Critique parue en novembre 1999 dans Bifrost n° 15

Voilà un roman qu'il m'a fallu finir à 4h15 sachant bien qu'à 6h00 il me faudrait me lever… Livre qui n'a pourtant rien d'un thriller et aucun suspense n'incitant à poursuivre. On sait très bien comment cela va finir et même de quelle manière cela va finir, quelle manœuvre va apporter la victoire. Et on ne se trompe pas…

Ceci dit, ce roman risque fort de ne pas plaire à tout un chacun. En effet, c'est là de la SF – du space opera – militariste de la plus belle eau.

Honor Harrington n'est pas une femme : c'est un officier supérieur ! Elle a un cerveau pour décider et une voix pour ordonner, le sens du devoir comme morale et comme sentiment. Et un chat, aussi… Elle vient de recevoir son second commandement : le HMS Intrépide. Lors de manœuvres, elle réussit un fort joli coup avant que l'adversaire, vexé et rendu prudent, l'empêche de récidiver. Aussi la voilà t-elle affectée au poste de Basilic : le Placard majuscule. Elle donne de furieux coups de pied dans la fourmilière, mettant un terme brutal à des lustres de négligente incompétence.

Après tout, peut-être David Weber n'est-il pas un ancien officier de la Royal Navy. Pourtant, si tel était le cas nul n'en serait surpris, tant Mission Basilic est un vibrant hommage aux officiers de la marine de Sa Majesté.

Transi Manticore est une monarchie constitutionnelle, dotée d'une reine Elizabeth, de chambres des Lords et des Communes. Basilic est un protectorat et une pomme de discorde politique entre les factions en lice : les libéraux au pouvoir (au sens anglo-saxon du terme) qui souhaitent limiter la présence militaire de Manticore à Basilic et une opposition plus énergique et impérialiste. On est donc immergé dans un univers presqu'exclusivement militaire avec un arrière-plan aristocratique.

La première partie expose, à travers la reprise en main du poste de Basilic, la manière dont, en parallèle, le nouveau commandant se fait progressivement respecter de son équipage. À défaut d'être larmoyant, l'aspect psychologique est essentiel – surtout pour un récit qui respecte à la lettre les canons du genre. Harrington est intransigeante, exigeante et exemplaire. Les rapports sont néanmoins distants et guindés. Imaginez le capitaine du Bounty diplômé d'une école de management ! Si elle sait créer et animer une équipe, elle n'en connaît pas moins la solitude du chef. Si elle sait écouter, elle sait aussi exploiter la culpabilité et surtout se faire entendre. Elle ne recourt par contre jamais à la moindre séduction. Imbue de morale militaire, sens de l'honneur et du devoir – c'est qu'on se bat en duel dans cette société-là ! – elle n'a bien sûr aucun état d'âme à exposer sa propre vie ni à sacrifier ses subordonnés. Alors les ennemis, pensez ! Faire massacrer par milliers les aborigènes manipulés ne la gène nullement, pas plus que d'engager un ennemi supérieur. La morale de l'histoire est qu'une telle attitude se justifie. Si vis pacem para bellum, ne dit-on pas ?

La richesse de Manticore vient d'un nœud hyperspatial dont Basilic est l'un des terminus sur lequel lorgne la république populaire en faillite de Havre. À l'évidence si Manticore est l'Angleterre, Havre est l'Union Soviétique. Et le Sirius, cargo lourdement armé, fleure bon le chalutier russe… Havre a fomenté un plan d'annexion de Basilic, ce qui lui offrirait deux terminaux du nœud de Manticore et une bonne opportunité d'invasion de ce royaume. Le dépoussiérage de Harrington a donc levé le lièvre qui reposait en partie sur la tradition de négligence de la flotte manticorienne.

On s'en doute, s'en suivront poursuite et combat à mort entre l'Intrépide et le Sirius : un duel à l'issue éminemment prévisible… Cet affrontement, qui s'étend sur plus d'une centaine de pages, rappelle furieusement celui du film Duel dans Atlantide, où, souvenez-vous, après que le destroyer américain torpillé ait éperonné le U-Boat, les deux capitaines se saluent, l'américain allant même jusqu'à aider l'allemand à évacuer son bâtiment. Honor Harrington reçoit là une belle leçon d'humanisme – et David Weber avec elle ! C'est qu'on ne combattait alors pas impunément la Wehrmacht ou la Kriegsmarine ; en Iraq ou en Serbie, c'est de punitions qu'il s'est agi, pas de combats. Ce qui nécessite de l'arrogance, du mépris plutôt que du courage. Harrington est un officier dont la mentalité est appropriée à « Tempête du désert » et qui se retrouve soudain face à plus fort qu'elle. Elle ne devra la victoire qu'au fait que le commandant du Sirius se comporte comme un nazi en venant achever les vaincus, ce qui n'a rien de comparable avec l'attitude du capitaine allemand de Duel dans l'Atlantide. C'est aussi l'anti-thèse de l'excellent roman antimilitariste de David Gerrold, Années-lumières, années de guerre.

Voilà un roman à tout le moins conservateur, voire réactionnaire. Militariste. Et tout ça très franchement. Pas pernicieux pour un sou. Il y a bien sûr les risques liés aux mécanismes d'identification… Ceci mis à part, l'histoire est bien menée, sans temps morts, agréable, pas exclusivement orientée vers l'action. Mais, si David Weber a créé un univers cohérent, il n'a pas inventé la poudre et s'est contenté de la faire parler… Cet ouvrage un peu surprenant chez L'Atalante est néanmoins une réussite dans son genre.

Jean-Pierre LION

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