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Les critiques de Bifrost

Maléfices

Maléfices

Maxime CHATTAM
POCKET
639pp - 9,50 €

Bifrost n° 39

Critique parue en juillet 2005 dans Bifrost n° 39

[Chronique commune à L'Âme du mal, In tenebris et Maléfices.]

• La Trilogie du mal, livre premier : L’Âme du mal

D’une balle dans la tête, Joshua Brolin a mis fin à la sanglante carrière du Bourreau de Portland au moment même où celui-ci allait trancher l’avant-bras de sa troisième victime, une jolie étudiante en psycho prénommée Juliette. Un an plus tard, un autre assassin ensanglante l’Oregon, utilisant le même modus operandi que le Bourreau de Portland, pimentant ses crimes avec une pointe de magie noire. Joshua est sur les dents et Juliette Lafayette, en danger, l’aide activement dans son enquête, notamment en dénichant — au prix de terribles efforts bibliothécaires — une citation de Dante Alighieri qu’à peu près tout le monde connaît (ou peut trouver sur Internet en moins de cinq minutes). Entre deux saisissantes scènes d’autopsie, Joshua affrontera l’âme du mal (et gagnera le combat comme dans tout bon téléfilm américain).

« Qu’est-ce que vous faites ?

– J’effectue une ponction de l’humeur vitrée, à peine 0,5 ml de vitré suffiront à nous indiquer précisément l’heure de sa mort. C’est actuellement la méthode la plus fiable et la plus précise. Lors de la décomposition, les globules rouges libèrent à vitesse lente et constante du potassium qui vient se ficher dans l’humeur de l’œil. En étudiant cette quantité on remonte sans problème au moment de la mort. » (Page 137.)

L’Ame du mal est un livre extrêmement pénible à lire, non pas que l’histoire manque de suspense, mais le style est une atteinte permanente au bon goût, les personnages sont découpés à la tronçonneuse dans du téléfilm américain façon Hollywood Nights, le remplissage (y compris scientifique) est de rigueur… Maxime Chattam, français et immature, veut faire amerloque, alors il en fait des tonnes, mugs, donuts, buildings, mass-murderers, notes de bas de page, nom d’équipes locales de basket-ball ou de base-ball. On en dégueule dès la page 10 et ça n’arrête plus jusqu’à la dernière ligne. À croire qu’il n’y a eu personne pour travailler avec lui et lui dire : « écoute, elle est pas mal ton histoire, coco, maintenant ce qui serait bien c’est que tu l’écrives en français, que t’en coupes deux cents pages sur cinq cents et QUE TU ME VIRES CES PUTAINS DE SCÈNES CUL-CUL SANS CUL entre Juliette et Joshua, parce que dès la page 67, on VEUT qu’ils baisent, qu’ils s’envoient en l’air façon bonobos, et ça n’arrivera que page 353, bordel ! Et puis tes exposés scientifiques, tu les fous en fin de l’ouvrage dans un glossaire, parce que ça tue l’ambiance, sans parler du rythme. »

Pire, l’apparition du Necronomicon rend le livre, déjà poussif, presque pathétique. Sans parler des erreurs (la Famille Adams au lieu de Addams), des métaphores d’une rare débilité et des fautes de français (visiblement, il n’y a pas de correcteurs chez Michel Lafon et Pocket).

Seules réussites à mettre au crédit de cet ouvrage laborieux : le personnage d’Harry Salhindro, un gros flic raté d’une profonde humanité, et, surtout, tout ce qui a trait au côté technique d’une enquête policière moderne (un sujet que Maxime Chattam semble maîtriser tout autant que Patricia Cornwell — auteur de best-sellers américains sans grand intérêt dont Kay Scarpetta, l’héroïne récurrente, est médecin-légiste).

• La Trilogie du mal, livre deuxième : In tenebris

En mettant fin à la carrière d’un tueur en série qui scalpait ses victimes, Annabel O’Donnel, jeune détective à Brooklyn, découvre dans sa planque un étrange message latin : « Caliban Dominus Noster, In nobis vita, Quia Caro in tenebris lucet », et une série de soixante-sept photographies. Toutes les personnes présentes sur ces sordides clichés ont disparu, et parmi elles ne se trouvent que trois victimes du scalpeur Spencer Lynch, dont celle, traumatisée mais survivante, qui a permis son arrestation. Avec l’aide de Joshua Brolin, devenu détective privé spécialisé dans les affaires de disparition, Annabel découvre alors qu’elle a affaire à un trio et non à un seul tueur, leur chef se faisant prénommer Bob comme le méchant fantôme de Twin Peaks. Trois tueurs qui rendent hommage à une mystérieuse divinité appelée Caliban.

Nettement moins pénible à lire que L’Ame du mal, In tenebris reste malgré tout un livre médiocre. Le style est souvent exécrable, les mots anglais facilement traduisibles pullulent (buildings, drugstores, precinct, skyline) ; les policiers ne savent toujours pas se servir d’Internet pour faire leurs recherches (quatre cents pages durant personne ne sait qui est Caliban, y compris Jack Thayer que l’on nous présente sans cesse comme un flic féru de littérature, de théâtre et de poésie…). Un livre médiocre, donc ; cependant il y a des progrès, Maxime Chattam n’arrête plus son roman deux pages durant pour nous expliquer comment marche un chromatographe ou pourquoi il est si important de peser les organes d’une victime au cours de l’autopsie. L’auteur a gagné en métier — moins de remplissage, moins de notes de bas de page. Par ailleurs, il se révèle plus à l’aise avec la géographie de New York et de ses alentours qu’avec les forêts sombres de l’Oregon, certains passages de son livre étant même très réussis (la balade à Coney Island, l’incursion dans les entrepôts de Bond Street, la découverte du wagon JC115…). L’Ame du mal était pénible, In tenebris est lisible, sans plus.

• La Trilogie du mal, livre troisième : Maléfices

« Vous savez, l’homme a tendance à ne pas trop y songer, mais il aurait suffi qu’une infime portion de la population arachnéenne ait atteint à peine la taille d’un chat, pour que notre espèce toute entière ait disparu, entièrement dévorée par ces prédateurs parfaits. » (Page 235.)

Après ses exploits new-yorkais, Joshua Brolin est revenu dans l’Oregon pour s’installer au vert, loin de la civilisation et donc loin des tueurs en série. Mais sa retraite ne va durer que six mois, car Fleitcher Salhindro, le frère d’Harry, a été retrouvé mort dans une clairière avec une piqûre d’araignée sur la gorge. La dose de venin injecté est si colossale que les conclusions de l’autopsie penchent vers une mise en scène, un meurtre. Mais qui aurait eu intérêt à assassiner de cette façon un garde forestier ? Quelques jours plus tard, Joshua apprend que de nombreuses personnes sont mortes dans la région de Portland à cause de piqûres de veuves noires (une espèce originaire de Madagascar), mais ce n’est encore rien, car voilà que l’on vient de trouver un cocon gigantesque dans un arbre, un cocon contenant le cadavre d’une femme récemment disparue, un cadavre bien trop léger, comme si la victime avait été vidée de sa substance.

Bon, j’avoue : j’ai dévoré ce troisième volume (plus de six cents pages tout de même) en deux jours… Et ce malgré des erreurs scénaristiques absolument hallucinantes : comment expliquer que la police de Portland laisse Clarice Starling Annabel O’Donnel (flic de New York en vacances) et Will Graham Joshua Brolin (flic en retraite anticipé à moitié détruit) enquêter sur une imbroglio de crimes divers qui a fait dix morts en quelques jours ? Comment expliquer que la police ne fouille pas de fond en comble la base militaire abandonnée qui se trouve à proximité de la scène du crime, laissant à Annabel le soin de s’y coller, nuitamment, armée de son flingue et de sa torche ? Pourquoi, d’un seul coup, il n’y a plus un seul hélicoptère dans tout l’Oregon pour amener des renforts policiers, apporter du matériel médico-légal dans une clairière que l’on nous a décrite comme immense ? Pourquoi les flics marchent trois heures dans la forêt, quand les jeunes cons du coin vont à moto jusqu’à la base militaire pour y flirter ? Et pourquoi personne ne pense à appeler l’armée histoire de demander ce qu’ils faisaient dans cette base perdue en pleine forêt à part tirer au laser sur des cibles en carton ? Une chose est sûre, je ne suis pas un personnage de Maxime Chattam : je me vois mal traquer une araignée de deux mètres de haut, de jour de nuit, avec deux cents agents sans renfort, armé d’un lance-roquettes antichar cure-dent et équipé d’un bon poste de radio de mon Nokia dont j’oublie tout le temps de charger la batterie…

Si vous arrivez à faire abstraction de la non-plausibilité permanente de cet ouvrage, on peut supposer que vous le trouverez plaisant comme une série B d’horreur louée un euro cinquante pour la soirée pizzas du samedi soir, mais n’en attendez rien de plus. Vous voilà prévenus.

Pour conclure, Maxime Chattam a lu (et sans doute relu) la trilogie Dragon Rouge, Le Silence des agneaux et Hannibal de Thomas Harris ; Joshua Brolin n’est au final qu’un Will Graham light… La trilogie de Thomas Harris (qu’on aime ou pas) fait d’ores et déjà partie des œuvres marquantes de la littérature du XXe siècle. En comparaison, la Trilogie du mal de Maxime Chattam n’est qu’un produit de supermarché mal torché, l’œuvre d’un gamin (hé, faudrait grandir un peu, Maxime !) qui cherche à se faire peur en recyclant ses livres et films préférés (dont Phenomena et Profondo Rosso de Dario Argento) ; avec un peu de (mal)chance, Luc Besson transformera ce gloubiboulga en un film, mieux, une franchise…

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