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Les critiques de Bifrost

Magiciennes et Sorciers

Magiciennes et Sorciers

Pierre BORDAGE, Charlotte BOUSQUET, Fabien CLAVEL, Jean-Claude DUNYACH, Lionel DAVOUST, Julien D'HEM, Laurent GIDON, Jean-Philippe JAWORSKI, Maïa MAZAURETTE, Sylvie MILLER, Philippe WARD, Justine NIOGRET, SIRE CÉDRIC, Rachel TANNER, Erik WIETZEL, Stép
MNÉMOS
288pp - 20,00 €

Bifrost n° 60

Critique parue en octobre 2010 dans Bifrost n° 60

Succès de Rois & capitaines oblige, les éditions Mnémos et les Imaginales ont décidé de publier chaque année, à l’occasion du festival, une anthologie thématique.

Après les guerriers en 2009, voilà les sorciers : soit les deux mamelles de l’heroic fantasy. Au sommaire, aucun débutant cette fois, mais aussi quelques poids lourds en moins (Day, Kloetzer…). C’est à Sire Cédric que revient le redoutable honneur d’ouvrir le bal, avec « une relecture postmoderne de Conan » (dixit Stéphanie Nicot). On sait l’importance de la première nouvelle : elle donne en quelque sorte le ton d’un recueil. « Cœur de serpent » laisse une impression mitigée. A un début poussif succèdent quelques scènes pourvoyeuses d’images marquantes. Deux défauts rédhibitoires sanctionnent le texte : un style extrêmement besogneux, et des personnages qui, loin de livrer une relecture post-moderne des héros de Howard, en épousent tous les poncifs. Les amateurs du suicidaire texan préféreront se jeter sur la réédition de King Kull aux éditions Bragelonne, par exemple.

« Djeeb l’encharmeur », de Laurent Gidon, met en scène un personnage hâbleur qui n’est pas sans rappeler Cugel l’Astucieux (en fait, le héros de deux de ses romans). Le récit de ses mésaventures se révèle plutôt plaisant malgré une chute en eau de boudin.

La nouvelle de Charlotte Bousquet (« Toiles déchirées ») s’inscrit dans un univers de fantasy développé au travers de plusieurs romans. C’est l’histoire d’une trahison amoureuse sur fond de rapports de filiation douloureux. Le principal écueil sur lequel bute cette composition : n’être qu’un extrait d’un corpus plus vaste et plus riche. La nouvelle en effet peine à exister par elle même et n’aura d’intérêt, au fond, que pour les lecteurs désireux de replonger dans le cycle.

Touche-à-tout de talent, Maïa Mazaurette donne avec « Exaucée » une méchante histoire d’apprentie sorcière qui se laisse aller à convoquer un prince trop charmant pour être honnête. I like it !

Le roman Chien du Heaume de Justine Niogret a obtenu un beau succès critique. Dans « T’humilierai », elle fait le lien avec ce texte fondateur pour raconter un réveillon de Noël peu amical dans une auberge paumée. Une femme bossue va se donner en spectacle. Le récit de sa vie tourne au règlement de compte. Si ce déballage paraît artificiellement amené, l’écriture, superbe (… une fois débarrassée des vilains tics qui plombaient un peu Chien du Heaume), place la contribution de Niogret parmi les toutes meilleures de l’anthologie.

Retour à l’action pure dans « L’Ultime illusion » d’Erik Wietzel : cette chasse au trésor qui se veut sans doute une sorte de vaudeville de la duperie, une réflexion sur la famille et le mensonge, est une bluette réconfortante et anodine, flegmatiquement écrite.

Rachel Tanner, dont la nouvelle dans Rois et capitaines m’avait bien plu, retombe dans ses travers. « In cauda venenum », ramassis d’Antiquité en toc, ne laissera pas un brillant souvenir.

Dispensable aussi, « Margot » de Julien d’Hem, qui n’est pas du tout la brave fille chantée par Brassens : soit une banale histoire de vengeance boursouflée de détails sordides qui se distingue par un penchant très net pour la laideur.

Ambiance couleur locale dans « Le Crépuscule des maudites », qui puise son bestiaire, sa géographie et ses sortilèges au cœur du folklore basque. En dehors de cette jolie touche d’originalité, Sylvie Miller et Philippe Ward réchauffent la tambouille chasse au sorcières/disparition du paganisme, mais sans l’ombre d’une idée nouvelle.

Bordage investit la figure du bouc hémisphère (à forte poitrine) dans « L’Autre », récit sans génie mais à la construction efficace qui rappelle que l’auteur peut aussi être à l’aise sur un format court, s’il veut bien s’en donner la peine…

Jean-Claude Dunyach reprend son personnage fétiche de troll d’entreprise qu’il embarque dans une histoire « pratchettienne » complètement décalée : le grand éclat de rire de l’anthologie (« Respectons les procédures »).

« Quelques grammes d’oubli sur la neige », de Lionel Davoust, évoque, sur le mode de la tragédie, le destin d’un petit royaume transformé par les visions surnaturelles de son monarque. Savoir et pouvoir font-ils bon ménage ? Voici une fable troublante dont l’écriture sait préserver le noyau obscur autour duquel gravitent les personnages.

« La Troisième hypostase » nous entraîne à nouveau dans le Vieux Royaume, création fascinante de Jean-Philippe Jaworski : l’histoire d’une enchanteresse engagée à la fois dans un conflit épique, livré à distance, et dans une lutte contre ses propres démons. La richesse, la précision du vocabulaire contribuent à renforcer l’écriture de Jaworski, mais certain lui reprocheront cette virtuosité sémantique, cet excès verbal qui risque à la longue de transformer ses récits en simples exercices de style.

« Chamane », de Fabien Clavel, nous transporte aux origines de l’Europe centrale, dans un IXe siècle héroïco-fantastique secoué de combats entre peuplades barbares. Pannonius, apprenti chamane du clan Megyer, affronte la lupine sorcière des Avars en serrant les mâchoires, pour permettre à son peuple de s’installer dans la Grande Plaine hongroise. Un bon teasing pour Le Châtiment des flèches, à paraître chez Pygmalion…

Mis en perspective, ce cru 2010 apparaît en cran en dessous du précédent. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet écueil. Malgré quelques récits distrayants, il manque au sommaire de Magiciennes et sorciers un ou deux textes forts, audacieux, inoubliables, des locomotives qui auraient tiré l’anthologie vers le haut.

D’une manière générale, les auteurs n’ont pas cherché l’originalité à tout prix, la plupart se contentant de tisser, sur le canevas de leurs univers respectifs, une histoire de circonstance (manière de se rassurer ?), les créations indépendantes étant quant à elles loin d’être toutes convaincantes… A ce point-là on pourrait reparler de l’absence des poids lourds susmentionnée, mais passons…

Du coup, si le millésime 2009 était quasiment indispensable pour tout amateur éclairé de fantasy, celui-ci est avant tout destiné aux inconditionnels. On prend date pour l’année prochaine ?

Sam LERMITE

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