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Les critiques de Bifrost

Lovecraft : Au cœur du cauchemar

Lovecraft : Au cœur du cauchemar

Howard Phillips LOVECRAFT
ACTUSF
464pp - 30,00 €

Bifrost n° 88

Critique parue en octobre 2017 dans Bifrost n° 88

Ouvrage ayant pu voir le jour grâce à un financement participatif lancé par les éditions ActuSF, Lovecraft : Au cœur du cauchemar impressionne au premier abord par son aspect : beau livre sous couverture rigide avec jaquette, finition soignée, maquette agréable et claire, nombreuses photographies et illustrations en couleurs… pas de doute, de la belle ouvrage et ainsi, sur 450 pages, cette monographie peut alors nous aider à décrypter davantage HPL et son œuvre. Après une brève mais curieuse introduction, où les deux directeurs d'ouvrage, Jean-Laurent Del Socorro et Jérôme Vincent, nous indiquent que les textes se répondent, se recoupent, mais… se répètent aussi, il est temps de rentrer dans le vif du sujet.

Le livre est découpé en trois parties, qui s'intéressent successivement à l'homme, l’œuvre, et à l'univers étendu (comprenez, les adaptations), pour une trentaine d'articles ou d'interviews au total. Bien évidemment, tout commence par une biographie, et celle de Bertand Bonnet, bien connu des lecteurs de Bifrost et principal collaborateur de l'ouvrage en termes de signes, est particulièrement intéressante, car elle démythifie beaucoup du personnage de HPL : son supposé statut de « reclus de Providence », son côté conservateur, mais sans occulter pour autant son racisme avéré, dont il est difficile de faire la part entre un racisme « institutionnel » et sociétal, et une inclinaison personnelle. Les préjugés sur Lovecraft sont également abordés par Christophe Thill, l'éditeur de Malpertuis. Les quelques textes qui suivent sont plus anecdotiques, notamment les interviews de S.T. Joshi – le spécialiste mondial de Lovecraft – et de François Bon, qui a entrepris de traduire Lovecraft après avoir visité Providence. On en arrive à un nouvel article intéressant sur les rapports entre HPL et Robert E. Howard (B. Bonnet, qui reprend un papier paru dans le Bifrost spécial REH). Cet article prépare de la plus belle manière à ce qui va suivre : rien moins que des extraits de la correspondance entre les deux auteurs américains ! Ceci constitue assurément l'un des morceaux de choix de l'ouvrage. Toutes les lettres ne sont pas retranscrites en intégralité, d'autant plus qu'un certain nombre d'entre elles se sont perdues, mais ce qui nous est proposé est stupéfiant d'intelligence (lorsque les deux écrivains surenchérissent de connaissances sur les Gaëls et les Pictes) et montre également leur conception radicalement différente de la vie : là où Howard se fait le chantre tout autant des activités physiques que des occupations intellectuelles, Lovecraft ne saurait accorder à la première qu'une pure fonction utilitaire sans commune mesure avec le pouvoir de l'intellect. Le dernier texte, sur Lovecraft, docteur de laweird fiction, se signale surtout par son écriture en weird français.

L’œuvre de Lovecraft s’aborde par une petite mais instructive histoire de ses publications, par C. Thill. Le mythe de Cthulhu, que d'autres auteurs articles s'accordent à dire qu'il n'était pas le projet de l'auteur, se voit néanmoins accorder un article, qui se réduit la plupart du temps à un catalogage des Grands Anciens et lieux. Plus intéressante est l'interview de Raphaël Granier de Cassagnac, avant que n'arrive un autre sommet de cette monographie, une bibliographie de vingt-cinq œuvres majeures de l'auteur, disséquées par Bertrand Bonnet. Fan absolu de l'auteur, il décrit par le menu détail les circonstances de l'écriture de chacun des textes, les thématiques abordées, sans oublier de pointer du doigt les faiblesses éventuelles, mais surtout il donne une folle envie de (re)lire Lovecraft. C'était bien là l'objectif avoué de ce livre, et le pari est en cours d'être gagné, d'autant que certains articles suivants continuent dans la même veine : un rapprochement surprenant entre Lovecraft et John Dos Passos (Florent Montaclair), la science dans l'œuvre de HPL (Elisa Gorusuk), et ses rapports avec la fantasy (Thill). Et, comme HPL est tombé dans le domaine public il y a peu, donnant droit à une déferlante de nouvelles traductions, on donne la parole à l'un de ces traducteurs, qui nous explique de manière passionnante ses choix de traduction. Marie Perrier, quant à elle, se lance dans l'exercice compliqué de la comparaison des différentes versions françaises des textes, dont elle se tire honorablement, malgré un propos pas toujours très clair. Cette deuxième partie se termine par un court article sur la poésie de l'auteur. Le manque de bibliographie finale est à ce titre criant : après tout, les différents auteurs n'ont de cesse d'alerter le lecteur sur les risques de confusion entre les textes signés Lovecraft et ceux commis par August Derleth, ainsi que les révisions de HPL, cela aurait été un bon moyen de clarifier tout cela et d'offrir un volume vraiment définitif sur le sujet.

La dernière partie, concernant les adaptations de HPL, qu'il s'agisse de film, de bande dessinée, de jeux vidéo ou de rôles, est nettement plus convenue, malgré quelques beaux passages comme les interviews de Nicolas Fructus ou de Philippe Caza.

Au final, que retient-on de cette monographie ? Sur les trente articles qui la composent, le niveau est forcément inégal, mais le livre est globalement d'une très bonne tenue, bourré d'informations pour le connaisseur de Lovecraft, mais aussi suffisamment didactique dans sa construction pour être également très utile à ceux qui ne le connaîtraient pas. Si l'on peut regretter l'absence de bibliographie, nul doute que chacun saura y trouver son compte, en picorant à droite et à gauche, et en se délectant des piques que s'envoient Howard et Lovecraft dans leur correspondance. Et surtout, il donne une envie irrépressible de se replonger dans les écrits du Maître, qui n'imaginait pas de son vivant passer autant à la postérité qu'un tel ouvrage puisse exister !

Bruno PARA

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