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Les critiques de Bifrost

Les Veilleurs

Les Veilleurs

Connie WILLIS
J'AI LU
538pp - 19,90 €

Bifrost n° 80

Critique parue en octobre 2015 dans Bifrost n° 80

Le titre original de cet ouvrage, The Best of Connie Willis, est on ne peut plus clair, et ça ne mégotte pas : les neuf nouvelles qui le composent (initialement publiées entre 1982 et 2007) ont toutes été primées. Hugo, Nebula, Locus comme s’il en pleuvait. C’est dire la valeur sûre que représente l’ensemble — quand bien même, en ces temps troublés, ces récompenses ne possèdent peut-être plus l’aura d’antan —, qui offre qui plus est une vue assez large du talent considérable de cette auteure peu prolifique, mais ô combien efficace.

Commençons donc par le récit qui donne pour partie son titre au recueil : « Les Veilleurs du feu ». Cette histoire de voyage temporel est à l’origine des deux grands romans de 2010, parus par ici chez Bragelonne en 2012 et 2013, Black-Out et All Clear et désormais disponibles en poche chez J’ai Lu. Dans ce texte, les historiens peuvent voyager dans le temps pour se confronter, en principe, à leur période de prédilection. C’est ainsi que le narrateur se retrouve plongé en plein Blitz, à Londres, avec les défenseurs de Saint-Paul. Or, il le sait, cet édifice sera détruit par les bombardements… Ecrit sous forme de journal, ce texte est sans appel : Connie Willis excelle à peindre les sentiments de ses personnages, et semble rien moins qu’habitée par son sujet tant elle restitue avec minutie le contexte historique dans lequel s’inscrit son récit. Des qualités d’empathie et de précision qui traversent l’ensemble des nouvelles ici proposées. « Les Vents de Marble Arch » est à ce titre exemplaire. Avec encore le Blitz en guise de toile de fond, pour cette évocation douce-amère des traces laissées par le passé dans notre vie quotidienne à travers le souffle du métro londonien — une histoire tout en touches subtiles.

Comme tout bon auteur de SF, Connie Willis dépeint souvent l’avenir pour interroger le présent. Regard nostalgique dans « Le Dernier des Winnebago » : par un parallèle surprenant, Willis peint un monde où les chiens ont disparu, suite à une épidémie, tout comme les camping-cars, interdits dans la plupart des Etats américains. « Même Sa Majesté », nouvelle pleine d’humour, se moque gentiment des modes de retour à la nature et aux bienfaits de l’ancien temps (ici, la « joie » d’avoir à nouveau ses règles alors qu’un médicament est parvenu à les supprimer, avec les douleurs et embarras afférents) et questionne avec finesse l’influence de la société sur la condition féminine.

Car dérision et légèreté figurent aussi dans l’éventail des talents de Connie Willis. « Tous assis par terre » raconte l’« invasion » de la Terre par des extraterrestres silencieux et boudeurs. Loin des Independence Day et autres attaques massives de notre pauvre planète, cette nouvelle observe avec détachement les comportements caricaturaux de certains êtres humains, à commencer par les extrémistes religieux. « Au Rialto » n’épargne pas la manie des conventions scientifiques et autres réunions de pairs dont les Etats-Unis sont le théâtre permanent. Humour toujours avec « Infiltration », enquête rondement menée sur les arnaques des faux médiums, où le réel côtoie le fantastique. Une frontière, celle du surnaturel, que Connie Willis n’hésite pas à franchir dans « Morts sur le Nil », incursion réussie au royaume des morts.

On l’aura compris, Les Veilleurs constitue une entrée idéale dans l’univers de Connie Willis, plus accessible, peut-être, que les longs (mais réussis) Black-Out et All Clear. D’autant que les textes qui accompagnent chaque nouvelle sont éclairants et offrent l’image d’un écrivain réfléchi, lucide sur son travail et l’influence de ses « maîtres » (Heinlein, Haldeman, Silverberg), engagée dans la vie publique. Enfin, en guise de bonus, l’éditeur nous offre trois discours, prononcés (ou non), une autre facette de l’auteure du Grand Livre distinguée par le Science Fiction Hall of Fame. Une réussite, assurément, dont on ne pourra faire l’économie.

Raphaël GAUDIN

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