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Les critiques de Bifrost

Les Danseurs de la fin des temps

Les Danseurs de la fin des temps

Michael MOORCOCK
DENOËL
768pp - 26,15 €

Bifrost n° HS1 : Les univers de Michael Moorcock

Critique parue en septembre 2002 dans Bifrost n° HS1 : Les univers de Michael Moorcock

Ce fort volume rassemble les récits de la Fin des Temps, cycle publié dans les années 70 : trois romans enchaînés, Une Chaleur venue d’ailleurs, Les Terres creuses et La Fin de tous les chants, et un recueil de nouvelles en marge du récit principal, Légendes de la Fin des Temps. Tous  étaient  sortis  en  français  chez « Présence du Futur ».

Une poignée d’individus sur une Terre désertée ont à leur disposition l’énergie, semble-t-il infinie, des anciennes Cités (quelque peu séniles, et que personne ne cherche à comprendre) qui permet un contrôle total de l’environnement : climats, coucher de soleil, continents, forme de leurs propres corps, tout peut être soumis à leurs caprices.

Caprices, car la vie des citoyens de la Fin des Temps est frivolité totale, consacrée au plaisir et à des créations éphémères destinées avant tout à impressionner ses pairs. Les émotions elles-mêmes sont objet avant tout esthétiques. Aussi quand arrivent des extraterrestres qui annoncent la progression dans l’espace de la fin définitive de l’Univers, ils ne sont pas plus pris au sérieux que les différents voyageurs du temps qui viennent du passé porter un jugement moral sévère sur la Fin des Temps. Ils se retrouvent en général hôtes plus ou moins forcés des « ménageries » qu’entretiennent pour la distraction de leurs amis les aristocrates décadents du soir de la Terre.

Tout change pour Jherek Carnelian avec l’arrivée de Mrs Amelia Underwood, victorienne résolument prude, qu’il libère d’une ménagerie, puis suit jusqu’à sa propre époque. Car Jherek connaît une émotion inédite, inconnue même de ceux de ses pairs qui affectent le désespoir romantique, comme Werther de Goethe : Jherek est éperdument amoureux d’Amelia. Qui reste résolument fidèle à un mari qu’elle n’aime pas, mais auquel la lie son sens du devoir. Toutefois, il ne lui est pas possible de revenir durablement dans le passé, qui rejette les voyageurs issus du futur pour éviter les paradoxes qu’ils pourraient engendrer.

L’initiative éditoriale du regroupement des trois romans de la trilogie en un omnibus est tout à fait heureuse : l’idylle de Jherek et Amelia, entrecroisée avec le problème (agaçant, il faut le reconnaître) de la destruction imminente de l’Univers, enjambe les trois premiers livres. On a parfois peur pour l’insouciant Jherek et pitié de la rigide Amelia, mais l’humour n’est jamais loin, avec une action relancée par des péripéties facétieuses dues à des personnages secondaires. Moorcock, bien conscient du caractère parfois répétitif de ses livres, lance d’énormes clins d’œil, et adapte de façon subtile la forme (extravagante) au fond de son récit. Si tant est qu’il en ait un.

On peut en effet se lasser des retournements de situation, que l’auteur ne prend guère la peine d’habiller d’apparences de logique. Pourtant, de longs passages du livre sont consacrés à des discussions de caractère moral : comment donner un sens à une époque hédoniste ? On sent là comme un reflet des turbulentes années soixante londoniennes, que Moorcock a vécu en protagoniste majeur. Le raffinement sybaritique est ici mis en perspective par la rigidité de l’époque qui l’a précédé : si l’on veut bien situer les derniers feux de l’époque victorienne dans l’action de Winston Churchill, premier ministre des années de guerre, les Swinging Sixties se comprennent en réaction à l’époque victorienne. Epoque qui porte son ombre sur tout le cycle de la Fin des Temps, par les fréquents voyages qu’y font les personnages, par les références a contrario qu’elle fournit sans cesse, et par des clins d’œil comme cette apparition de H. G. Wells.

Moorcock s’épanouira un peu plus tard dans des romans historiques ou uchroniques situés justement au tournant du siècle ; le cycle de la Fin des Temps, avec certes ses longueurs et ses facilités, est un superbe hymne à la décadence. Un classique peut-être, un plaisir sûrement.

Pascal J. THOMAS

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