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Les critiques de Bifrost

Les Chefs-d'oeuvre de H.G. Wells

Les Chefs-d'oeuvre de H.G. Wells

Herbert George WELLS, Edward KOCH
OMNIBUS
1216pp - 26,40 €

Bifrost n° 47

Critique parue en juillet 2007 dans Bifrost n° 47

Ce recueil comprend les principaux romans de science-fiction de Wells, à savoir La Machine à explorer le temps, Les Premiers hommes dans la Lune, La Guerre des mondes, L'Île du docteur Moreau, L'Homme invisible, M. Barnstaple chez les hommes-dieux ainsi qu'une novella, « Une Histoire des temps à venir », et onze nouvelles, pour s'achever par le document de son quasi homonyme, Welles (Orson), avec le texte de la célèbre adaptation radiophonique de La Guerre des mondes.

Le bilan est plus qu'impressionnant, puisque quatre de ces titres font encore aujourd'hui l'objet d'adaptations cinématographiques d'envergure. Il l'est davantage quand on considère que ces quatre chefs-d'œuvre ont été écrits par un auteur qui n'avait pas trente ans (La Guerre des mondes est paru en 1898, mais fut publié en feuilleton à partir d'avril 1997, soit avant les 31 ans de Wells, le 21 septembre). C'est à dégoûter de leur métier d'honnêtes artisans de l'écriture. Cela souligne en tout cas le génie de Wells et sa sagacité en matière de spéculation sociale et scientifique.

L'ensemble des textes de l'omnibus est antérieur à la première Guerre mondiale, à l'exception de M. Barnstaple chez les Hommes-Dieux, daté de 1923. Cette exploration involontaire, dans un monde parallèle, d'une civilisation avancée disposant de capacités télépathiques et vivant dans une utopie réussie démontrant au groupe égaré qu'il est possible d'échapper à l'Âge de la Confusion dans lequel est plongé l'humanité, s'inspire d'ailleurs d'une nouvelle de 1905, « Une Utopie moderne », elle-même développant des idées exposées deux ou trois ans plus tôt dans des articles. On aurait pu garder la nouvelle à la place du roman, qui ne fait que préciser et affiner les conjectures en présentant une société encore plus évoluée, et lui préférer un autre grand roman de Wells, Quand le dormeur s'éveillera, daté de 1899, afin de mieux centrer le recueil sur cette période de l'auteur, la plus féconde et la plus imaginative.

Car, en une dizaine d'années, Wells expose tous les thèmes fondateurs de la science-fiction moderne : l'invasion extraterrestre, le voyage dans le temps, les manipulations génétiques, les univers parallèles ! Dans le détail, on trouve le concept de nœud dans l'espace reliant des lieux éloignés entre eux, avec la fameuse analogie de la feuille de papier pliée pour rapprocher deux points distants (« Un Etrange phénomène », où un homme observe un autre monde dès qu'il ferme les yeux), l'utilisation de thérapies par les rêves (« Une histoire des temps futurs » date de 1905 et les premiers textes de Freud de 1899), l'usage intensif et urbain de trottoirs roulants bien avant ceux d'Asimov et d'Heinlein. Plus surprenant encore, Wells n'utilise pas ces thèmes comme de simples prétextes à l'aventure et aux voyages, mais les manipule d'emblée comme des outils servant la réflexion et le développement d'une pensée sociale. Car c'est bien la civilisation humaine et son devenir qui l'intéressent, comme il le démontrera dans son œuvre par la suite.

Le classement thématique (« Autres temps », « Autres mondes », « Autres monstres », « Autres dimensions ») met en lumière les prétextes imaginés par Wells pour se livrer à ses spéculations. La partie consacrée aux monstres met davantage l'accent sur la psychologie de l'individu, et encore n'est-ce là qu'une impression première, en raison notamment des savants fous remarquablement campés, le Dr Moreau et Griffin, l'homme invisible, car « Le Nouvel accélérateur », invention d'une drogue accélérant le temps de vie d'un individu, ce qui lui permet d'être le plus rapide dans des moments stratégiques, esquisse à son tour les conséquences sociales d'une telle invention.

Prétextes, car les autres civilisations, qu'elles soient extraterrestres, situées plus loin dans le temps voire hors de notre continuum, cachées comme le peuple sous-marin de « Dans l'abîme » ou inaccessibles comme les mondes entrevus dans les rêves (« Un rêve d'Armaggedon »), sont toujours l'occasion de dépeindre une société ayant fait des choix différents. Ici, un cristal sert d'appareil de communication pour observer Mars, là, l'explosion d'une mystérieuse poudre verte permet de voir un monde superposé au monde (« L'Histoire de Plattner »), ailleurs, l'apparition aléatoire d' « Une Porte dans le mur » ouvre sur des dimensions cachées. Il s'agit à chaque fois de voir l'inconnaissable ou ce qui n'existe pas encore, peu importe les moyens. Les explications, quand elles existent, empruntent au fantastique, rappelant que Wells s'est illustré dans ce domaine dès ses débuts. On en a un exemple avec « Mr Skelmersdale au pays des fées », qui exprime un sentiment disséminé dans d'autres récits : la nostalgie d'avoir approché trop fugacement une réalité jugée préférable à la nôtre.

Les dix récits d' « Autres dimensions », comparés aux trois ou quatre des parties précédentes, et qui leur sont globalement postérieurs, montrent une tendance à l'exploration de mondes imaginaires ressemblant davantage à la fuite d'un réel que l'auteur ne manque pas de critiquer ou de remodeler par ailleurs.

Tous ces récits ont remarquablement bien résisté au temps : efficacité de la mise en scène, sens de la narration et du suspense, avec toutefois une propension à recourir à un narrateur faisant autorité pour exposer les situations les plus incroyables, mise à distance dont on se passe le plus souvent aujourd'hui, mais qui a le mérite de donner des gages d'authenticité au récit et de la profondeur aussi, car un discours est déjà porté sur l'affaire.

Lacassin, dans sa préface, revient avec pertinence sur le parcours de cet auteur justement qualifié de « vagabond de la science, rêveur et prophète », difficilement réductible en tout cas à une seule catégorie. La lecture ou la relecture de ces récits ainsi mis en perspective s'avère indispensable et rappelle, au besoin, que Wells n'a pas usurpé le titre de père de la science-fiction moderne.

Claude ECKEN

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