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Les critiques de Bifrost

Le Temps

Le Temps

Ugo BELLAGAMBA, COLLECTIF, Éric PICHOLLE, Estelle BLANQUET, Daniel TRON, Pascal J. THOMAS, Jean-Luc GAUTERO, Jean DHOMBRES, Anthony VALLAT, (non MENTIONNÉ)
SOMNIUM
470pp - 23,00 €

Bifrost n° 90

Critique parue en avril 2018 dans Bifrost n° 90

Il était logique de consacrer ce dixième colloque « Sciences & Fictions à Peyresq » au temps, un thème riche et multiforme dans ses multiples manifestations.

Le temps renvoie d’abord à l’Histoire et à ses interprétations : Temps historique et uchronies (Ugo Bellagamba) situe ces dernières à l’intersection de la SF et de l’historiographie. Reflet des propres convictions de l’auteur, l’uchronie est d’abord à l’usage de son époque (« L’instrumentalisation de l’histoire dans la pensée politique de Charles Rénouvier », Ugo Bellagamba). Les incontournables Voyages, boucles et paradoxes temporels (Éric Picholle) posent la question du déterminisme et de la conception élastique du temps que sous-tendent ces jeux logiques. Le voyage temporel reste, finalement, un lieu de conflit (« La Discordance des temps », Jean-Luc Gautero). La notion de dimension temporelle qu’exploite ce type de récit est explicitée par Pascal Thomas.

Après ce tour d’horizon des temps « objectifs », place au subjectif du Temps humain et vieillissement : la longévité impose de lutter contre l’ennui par l’effacement de la mémoire ou la réintroduction de la famine et de la guerre. Anthony Vallat poursuit cette modération avec «  Temps, intuition et société du loisir ». L’intuition est aussi le sujet de Zeitgeist et espace-temps (Jean Dhombres) : les évidences qu’on a sous les yeux et que pourtant on ne voit pas débouchent sur des questions épistémologiques à propos de la création scientifique.

À propos du temps en physique, Estelle Blanquet et Éric Picholle établissent la chronologie des jumeaux de Langevin et font le tri entre vrais et faux paradoxes temporels – on trouvera d’ailleurs plus loin une nouvelle de Picholle, « Jumelles ! » qui illustre avec justesse le célèbre paradoxe. Peut-on imaginer un univers sans temps ou bien un temps discontinu ? Autour du paradoxe de Zénon d’Élée, Temps discrets et univers sans temps (Éric Picholle) pose la question de la mémoire comme forme de découpage du temps. Il fallait bien finir par aborder plus frontalement la question de la causalité, ce que fait Flèche du temps et déterminisme (Pascal Thomas), étendu aux temps récurrents ou à rebours, et à des représentations étrangères ou exotiques.

La SF au service de la pédagogie du temps est un excellent débat sur le découpage du temps à l’école. Doit-on redouter l’expérience de l’échec ou refuser de perdre du temps, sachant l’importance d’un temps laissé à l’expérimentation ? «  La gestion du temps didactique du lecteur-modèle à l’élève-type » d’Estelle Blanquet contient quelques éléments de réponse.

Gardons pour la fin les deux gros morceaux, 120 pages chacun, qui justifient à eux seuls l’achat de ce collectif, tous deux signés Daniel Tron. À partir de Ricoeur, « Perles du temps et temps incertains : écrire la temporalité de la science-fiction  » se penche sur la façon qu’ont les récits de déployer une temporalité dans l’esprit du lecteur par leur mise en intrigue et structuration du texte. Sont successivement abordés les temps à grande échelle, sur plusieurs générations, les questions de point de vue dans les paradoxes temporels et le traitement des temps subjectifs, notamment autour du Temps Incertain de Michel Jeury et La Cité du soleil et autres récits héliotropes de Ugo Bellagamba.

Passionnant de bout en bout, cet article se poursuit sur une magistrale étude du « Temps dickien : art de la fugue et boucles étranges », autour de quelques titres emblématiques de P. K. Dick. Un seul bémol : les longues citations en anglais non traduites, avec tout de même le renvoi à la version française – à condition de disposer de la bonne édition. Daniel Tron met en évidence les dédoublements temporels, les subjectivités superposées qui glissent ensuite vers l’autobiographie fictionnelle. Il parvient même à dresser un schéma de la structure des mondes dickiens, applicable à la plupart de ses romans. Une relecture éclairante sur bien des niveaux.

L’ouvrage, largement illustré, constitue une excellente approche sur le temps dans la science-fiction.

Claude ECKEN

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