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Les critiques de Bifrost

Le Diapason des mots et des misères

Le Diapason des mots et des misères

Jérôme NOIREZ
J'AI LU
224pp - 5,80 €

Bifrost n° 64

Critique parue en octobre 2011 dans Bifrost n° 64

Seul recueil de nouvelles de l’auteur à ce jour, Le Diapason des mots et des misères propose quinze textes, deux seulement ayant fait l’objet de publication antérieure en revue ou en anthologie, accompagnés d’une postface de Catherine Dufour. Le titre du recueil — qui est également celui d’une des nouvelles présentes ici — est particulièrement bien trouvé, en ce sens qu’il résume parfaitement les intentions de l’auteur, en termes de fond (les misères), de forme (les mots), et d’adéquation entre les deux (le diapason).

Ainsi, Noirez propose ici une série d’enfers personnels, physiques ou mentaux, dont on ne ressort pas indemne. Les mutilations rituelles de « La Ville somnambule » (Prague comme vous ne l’avez jamais vue) sont proprement insupportables, et ce d’autant plus qu’elles n’ont d’autre justification que celle d’une croyance que l’on qualifiera de barbare. « Le Diapason des mots et des misères » met en scène un homme et une femme qui tentent de communiquer, même si pour cela ils doivent souffrir dans leur chair à chaque passage de train. Plus dur encore, « Nos aïeuls » prend pour protagoniste la figure récurrente chez Noirez d’un jeune enfant, ici confronté à des fantômes alors qu’il souffre le martyr sur sa chambre d’hôpital, atteint d’une grave maladie ; peut-être le texte le plus fort du recueil (nos limites sont bien moins élevées quand le mal s’attaque à la jeunesse), dont les accents de vérité semblent in-diquer une véritable expérience vécue… L’auteur étant par ailleurs musicien, cette nouvelle est accompagnée d’une berceuse pour l’un des personnages, chanson qui prend toute sa force quand on sait dans quelles conditions elle doit être chantée. Dans « 7, impasse des mirages », Noirez se réfère à une sourate du Coran (Al-zalzalah, ou la Secousse) pour cette histoire qui mêle mythologie arabe et quête des origines. Enfin, le recueil se clôt sur trois « Contes pour enfants mort-nés », où, sous le vernis d’un humour très noir, se concentrent des cauchemars autour de craintes enfantines poussées à leur paroxysme : la poupée, l’école et la leçon de piano.

Parfois, pour se protéger de l’effet de ces misères personnelles, la meilleure des stratégies consiste à adopter une attitude détachée, voire un second degré de bon aloi ; cela donne ici une autre catégorie de textes, moins frontaux, plus humoristiques. « Feverish Train » et « La Grande Nécrose » empruntent aux codes du policier, le premier pour une enquête cartoonesque dans un train marqué par une chaleur suffocante et la présence d’un flamant rose, le deuxième pour une mise en garde à vue qui tourne mal du fait de zombies. « L’Apocalypse selon Huxley » est le récit déjanté et à hurler de rire d’une expédition aux Etats-Unis censée découvrir de nouvelles frontières…

Quel que soit le traitement de la thématique qu’il choisit, la patte de Noirez est néanmoins aisément reconnaissable : au-delà de son habituelle empathie pour ses personnages, de sa tendresse pour les jeunes générations, il impressionne par sa maîtrise stylistique. Il malaxe les mots, les torture parfois, mais toujours dans le but d’en extraire des effets qui viendront rehausser le contenu ; il s’agit bien là d’une volonté de style signifiant, et non d’un simple besoin de soigner la forme. Cette faculté de Noirez à adapter la forme au fond doit certainement beaucoup à sa connaissance et son étude de la musique, de sa construction et des émotions qu’elle est capable de suggérer ; il serait intéressant de connaître son point de vue sur le sujet.

Bref, foisonnement de l’imaginaire, diversité des émotions, richesse des personnages, éblouissement du style : à n’en pas douter, Le Diapason des mots et des misères montre un Jérôme Noirez au sommet de sa forme, et fort justement récompensé ici par un Grand Prix de l’Imaginaire.

[Lire aussi l'avis de Laurent Leleu dans le Bifrost n°56.]

Bruno PARA

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