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Les critiques de Bifrost

Langues étrangères

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Paul DI FILIPPO
ROBERT LAFFONT
240pp - 18,00 €

Bifrost n° 35

Critique parue en juillet 2004 dans Bifrost n° 35

C'est probablement l'un des ouvrages les plus minces de la collection « Ailleurs et Demain », mais aussi l'un des plus sulfureux, un catalogue d'ébats sexuels aussi débridés qu'excessifs se succédant sans interruption jusqu'au paroxysme. Avec sa très belle écriture, alternant des descriptions d'une sensualité suggestive avec d'autres d'un réalisme cru, pornographique, il enchaîne les scènes torrides dans un vibrant hommage à Bataille et à Farmer, mais aussi au réalisme magique des romans sud-américains. C'est d'ailleurs à Bahia que se déroule la majeure partie de cette dévoration sexuelle.

Tout commence en 2015, dans une société en déliquescence, quand Kerry Hackett, secrétaire d'un laboratoire de recherches génétiques, courtisée par son patron, violée et battue par son compagnon, cherche du réconfort auprès du benthique, une créature artificielle composée de cellules totipotentes aux fulgurantes métamorphoses. Est-ce en raison de ses récents déboires sexuels que la créature qui l'investit devient une ogresse affamée de sperme ? Toujours est-il qu'elle grandit en puissance en s'abreuvant de sperme. Est-ce parce que Kerry a fait un rêve érotique mettant en scène un jaguar qu'elle se retrouve propulsée dans la moiteur exotique d'un Bahia des années 30 ? C'est en tout cas dans cette contrée que le monstre s'épanouit et se répand, ses propriétés métamorphiques lui permettant de réaliser les fantasmes les plus extravagants et les plus atroces cauchemars : contaminant ses victimes sexuelles, il modifie leur sexe, embouche le phallus d'un truand en permanente éjaculation dans son propre anus pour qu'il recrache son sperme par la bouche et finisse par engloutir meubles, bibliothèque et jusqu'à la maison entière. La dévoreuse absorbe littéralement ses amants jusqu'à décupler sa taille, devient une déesse adorée comme telle par une tribu acceptant la mort de leur enveloppe humaine et la métamorphose qu'elle promet. On pense au Bandar fou, la BD de Mœbius, et au Blob, le protoplasme des vieux films de science-fiction, dans une version sexuée que nul n'avait osé imaginer à ce jour.

Ces deux cents pages d'orgasme jusqu'à l'indigestion, de pornographie effervescente sont une ode sauvage à la vie, dans sa brutale frénésie de reproduction. Il naît de ces accouplements des lézards, des perroquets et des papillons. C'est cette énergie-là qui ouvre la porte à d'autres pans de réalité où elle pourra se déverser. Bien des lecteurs risquent d'être choqués par certains passages, mais cette suite d'orgasmes n'a pas la complaisance des récits voyeuristes, elle est bien trop étrangère et explosive pour susciter ce type d'émoi.

Le radicalisme et la force brute de Di Filippo sont, ici, étonnants. On ne peut que saluer cette performance.

Claude ECKEN

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