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Les critiques de Bifrost

La Peau froide

La Peau froide

Albert SÁNCHEZ PIÑOL
ACTES SUD
272pp - 7,70 €

Bifrost n° 37

Critique parue en janvier 2005 dans Bifrost n° 37

Vous voici perdu sur un îlot sans nom, minuscule virgule au beau milieu de l'Atlantique Sud. Un an. Imaginez un peu. Un an à assumer les fonctions de climatologue. Sur l'île, une cabane : la vôtre. Et un phare. Occupé par un personnage taciturne et enfermé dans un mutisme apparemment inébranlable. Est-il fou ? Et au loin le bateau qui s'éloigne, que vous ne reverrez plus avant douze longs mois. Peut-être. Et la nuit tombe vite sous ces latitudes boréales. Et le froid. Et avec les ténèbres, les monstres. Des créatures surgies du fond de l'océan, sveltes, élancées, glaciales… Et visiblement affamées… Maintenant, il faut survivre.

Un huis clos. Deux hommes entourés de monstres marins. À moins que les monstres ne soient les hommes eux-mêmes. Sartre n'est pas si loin. Conrad non plus, bien sûr, ni Lovecraft, dont on ne peut oublier tout au long du livre l'image obsédante de ses Profonds monstrueux.

La Peau froide est le premier roman d'Albert Sanchez Pinol, anthropologue de quarante ans à peine. Un premier roman aussi froid que les monstres qu'il décrit, servi par une écriture serrée, maîtrisée, qui met en œuvre des figures romanesques d'une force rare et un personnage de Batis trouble et inoubliable, manière d'Achab melvillien sur son bateau île, possédé et possédant, qui a abandonné tout ou presque de sa nature d'homme dans l'unique but de survivre — à moins que sa nature d'homme ne se révèle finalement dans cet abandon même… Ouf ! Voici un livre qui, une fois refermé, n'en finit pas d'infuser ; on reste sous le coup de cette cruauté implacable, de ces scènes d'attaques où les monstres, nuit après nuit, se ruent par centaines, par milliers, à l'assaut du phare, de ces ambiances de terreur pure, ces constats sans appel sur la nature humaine, ces rapports ambigus entre les deux personnages, duo qui se fait trio en la personne d'un monstre féminin et muet d'une sensualité malsaine, bref, de son âpreté, de sa profondeur. Rapport à l'autre, rapport à soi, pulsions animales, solitude, amour, réflexion miroir sur la civilisation… Un livre marquant, sans doute, dense (250 pages et tout est dit, enfin ! — nous sommes ici bien loin de ces fantasy sans fin et pleines et de rien), un livre à lire, bien sûr, un très bon livre, quoi, dont on se gardera ici d'en dévoiler davantage tant il mérite d'être découvert.

Olivier GIRARD

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