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Les critiques de Bifrost

La Neige de saint Pierre

La Neige de saint Pierre

Léo PERUTZ
ZULMA
217pp - 9,95 €

Bifrost n° 85

Critique parue en janvier 2017 dans Bifrost n° 85

Petit à petit, les éditions Zulma complètent dans leur collection de poche les œuvres du Maître Léo Perutz, toujours dans les élégantes traductions de Jean-Claude Capèle. Après Le Maître du jugement dernier et La Troisième balle, c’est au tour de La Neige de Saint-Pierre de venir répandre sur nos vies ses flocons électriques et frissonnants.

Georg Friedrich Amberg jaillit du néant aux premières lignes du récit, dans les murs d’une chambre de clinique. L’histoire qu’il porte en lui n’est pas celle qu’on lui raconte. Il reconnaît pourtant autour de lui des protagonistes de ce qu’il croit être la vérité, mais avec des rôles différents. Que s’est-il vraiment passé après qu’il s’est tenu debout au milieu de ce carrefour, à regarder partir dans sa Cadillac verte l’énigmatique Bibiche, sa collègue de laboratoire à l’institut bactériologique de Berlin, dont il est amoureux ? A-t-il été percuté par une voiture, comme on le lui affirme ? Ou bien a-t-il rejoint les terres du baron von Malchin, qui s’est mis en tête de réveiller la foi religieuse en son village et de restaurer la vieille lignée impériale des Staufen en faisant ingérer aux villageois la Neige de Saint-Pierre, l’ergot de seigle aux puissantes vertus hallucinatoires ? Et s’est-il vraiment trouvé pris dans un mouvement populaire qui a failli lui coûter la vie ?

Perutz est le maître d’un fantastique subtil qui irrigue une narration excellemment maîtrisée. Il nourrit celle-ci d’une érudition historique et scientifique jamais empesée et qui ne vient jamais faire obstacle au plaisir de la lecture. Bien sûr, un tel roman écrit en 1933 sur les volontés de pouvoir hallucinées ne pouvait qu’attirer les foudres du régime nazi, mais ce n’est pas là son aspect le plus dérangeant : celui-ci délivre un questionnement singulier sur le réel et son inexplicable continuité, tout autour de nous. Ainsi, quelques questions primordiales hantent ce texte et plus largement toute l’œuvre de l’écrivain autrichien : serons-nous vraiment le même dans la seconde qui suit ? Pourquoi persistons-nous dans notre identité ? Et si nous n’étions pas l’histoire que les autres nous racontent de nous-mêmes ? Et si le simple fait de raconter faisait jaillir les êtres et les événements ? Et si le monde n’était simplement que ce récit mâtiné de l’imagination des autres et de celle de nous-mêmes ? Questions qui sont autant d’étranges réponses à l’angoisse profonde de la folie qui ne nous quitte jamais vraiment…

Et si, à la sortie du roman, vous ne savez plus qui est qui, de vous-même et des autres, alors vous serez mûrs pour partir en quête de l’inquiétant Marquis de Bolibar, aux mille visages : vivement une prochaine réédition !

Arnaud LAIMÉ

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