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Les critiques de Bifrost

La Légende de Hawkmoon

La Légende de Hawkmoon

Michael MOORCOCK
OMNIBUS
981pp - 26,40 €

Bifrost n° HS1 : Les univers de Michael Moorcock

Critique parue en septembre 2002 dans Bifrost n° HS1 : Les univers de Michael Moorcock

Incarnation du Champion éternel, Dorian Hawkmoon se distingue de ses alter egos de fantasy (Elric, Corum, Erekosë) par le cadre dans lequel il évolue. Son monde, décalque fort transparent — les noms ne sont qu'un peu transformés — de notre propre univers, est marqué par le Tragique Millénaire, responsable de nombreuses morts et mutations, et qu'on suppose donc être une catastrophe ou une guerre nucléaire. Du coup, on se dit qu'on n'est peut-être pas dans un monde parallèle, mais bien dans notre futur. Qu'importe ! Même si l'histoire progresse en partie grâce à des artefacts plus scientifiques que magiques, reliquats d'une époque révolue, le traitement est ouvertement sur le mode de la fantasy, avec les éléments consacrés du genre : décor médiévalisant, quêtes, batailles épiques, apprentissage, héros et méchants plus grands que nature. Bref, une saga qui répond complètement aux canons du genre. En apparence, du moins, car si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que la série du Bâton Runique est tout autant une parodie outrancière de la fantasy qu'un champ d'expérimentation. Comment les deux sont-ils possibles en même temps ? Tout simplement parce que le cycle de Dorian Hawkmoon se décompose en fait en deux séries bien distinctes.

Dans la première (Le Joyau Noir, Le Dieu Fou, L'Épée de l'Aurore et Le Secret des Runes), on suit l'opposition de Dorian Hawkmoon et de ses amis au terrible envahisseur de Granbretanne. Le Ténébreux Empire se répand de fait partout à la surface du globe. Seule résiste la Kamarg, gouvernée par le Comte Airain. Au début du cycle, Dorian, ex-Duc de Köln, se voit implanter par le baron granbreton Méliadus un Joyau Noir dans le crâne, caméra permettant de voir tout ce qu'il voit, et donc de vérifier qu'il ne trahit pas son machiavélique commanditaire. Il doit en effet aller s'emparer de la fille du Comte Airain, Yisselda, afin que Londra puisse faire plier la Kamarg. Une fois Dorian arrivé au Château Airain, le comte réussit à anéantir les effets du Joyau Noir. Hawkmoon fait ainsi la connaissance de Yisselda (dont il tombe évidemment amoureux) et du philosophe Noblegent. Ensemble, ils vont tenter de défaire le Ténébreux Empire, aidés par des alliés occasionnels comme Huillam D'Averc, Français passé chez les Granbretons avant de revenir dans le camp d'Hawkmoon, Oladahn, homme hirsute des montagnes, et le Guerrier d'Or et de Jais, mystérieux personnage qui répète sans cesse à Hawkmoon qu'il doit servir le Bâton Runique. Pour accomplir son destin, le jeune homme doit aller combattre le Dieu Fou, puis récupérer l'épée de l'Aurore et finalement le fameux Bâton Runique. Résumer davantage ces romans tient de la gageure, car les péripéties sont incessantes : le héros échappe à plusieurs dizaines de morts probables, et tombe sans cesse de Charybde en Scylla. On est dans le registre de la fantasy parodique : tout est plus grand que nature, exacerbé, too much. Pour preuve, l'avalanche d'adjectifs qui renforce le côté grandiloquent des descriptions. Moorcock ne s'en est jamais caché, ses cycles de fantasy sont alimentaires, et, à la lecture, celui d'Hawkmoon apparaît à l'évidence comme tel. Les détracteurs de la fantasy trouveront ainsi ces aventures insipides. De même, les amateurs s'attendant à une saga franche du collier risquent d'être déçus. Dans cet exemple archétypal, il convient de tout prendre au second degré. Avec cette première série, on a manifestement affaire à une fantasy qu'on croirait écrite sous acide, hypothèse que vient confirmer la description de Londra, cité multicolore et psychédélique (on peut aussi s'interroger sur les motivations de l'anglais Moorcock quant au destin de la Granbretanne, tanière du Mal entièrement détruite à la fin).

La deuxième série, qui débute par Le Comte Airain, se poursuit avec Le Champion de Garathorm, et se termine sur La Quête de Tanelorn, souffre d'une moindre unité que les quatre premiers romans. Ici, bien que l'intrigue s'articule au cours des trois textes, on a l'impression que l'auteur a davantage tenu à expérimenter qu'à délivrer une trame romantique. Le Comte Airain commence dans le brouillard (y compris celui, mental, du Duc de Köln), bien loin des couleurs chatoyantes et exubérantes de la première série, que l'on ne retrouvera que durant le dernier roman. Au Château d'Airain, Hawkmoon vit en paix avec Yisselda et leurs deux enfants, tous leurs amis étant morts durant la bataille de Londra. Resurgit soudain le Comte Airain, ou plutôt son fantôme. Hawkmoon entame alors une cruelle quête au cours de laquelle il perdra puis retrouvera sa femme à plusieurs reprises. Ce premier volume traite de la mémoire, le lecteur s'apercevant après un retournement final que tout ce qui précède n'est que faux semblants, apparences suggérées par la démence de Dorian. Fini le côté parodique, Moorcock devient grave et livre davantage un roman psychologique que d'aventures. Hawkmoon — et l'auteur, sans doute, avec lui — a mûri, et compris que la parodie ne saurait guère fonctionner indéfiniment. Dans Le Champion de Garathorm, Moorcock expérimente : son héros devient brutalement héroïne, une autre incarnation du Champion éternel. Sans doute le volume le moins réussi de la saga, il n'en a pas moins le mérite d'exister, et démontre à qui ne voudrait pas le croire que la fantasy peut aussi être, à l'instar de la science-fiction, un champ d'expérimentation, domaine dans lequel Moorcock est passé maître. Enfin, La Quête de Tanelorn permet à l'auteur de faire cohabiter ses incarnations du Champion, Corum, Elric, Erekosë et Hawkmoon, et de créer une tripotée de héros à trogne pour le seul plaisir de les tuer aussitôt. In fine, il livre un long texte, parfois confus, où il s'explique des buts du cycle du Multivers : parler de ce qui fait l'homme, et de ses rapports aux croyances et à l'univers qui l'entoure.

Bref, la saga du Bâton Runique n'est certainement pas l'œuvre la plus novatrice ou personnelle de Moorcock. Mais contrairement à ce que son statut d'œuvre alimentaire aurait pu laisser penser, on a affaire ici à un (ou deux) cycle(s) intéressant(s), finalement assez éloigné(s) du tout-venant de la fantasy héroïque.

Bruno PARA

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