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Les critiques de Bifrost

La Fin du monde

La Fin du monde

Fabrice COLIN
MANGO Jeunesse
208pp - 9,00 €

Bifrost n° 55

Critique parue en juillet 2009 dans Bifrost n° 55

Science-fiction décalée, mainstream, fantasy… Inclassable, Fabrice Colin fait partie des stakhanovistes de l'édition capables d'écrire pour à peu près tous les publics sans se soucier des étiquettes. Avec La Fin du monde, il s'attaque une nouvelle fois à la littérature jeunesse (son septième bouquin dans la même collection, tout de même), via un roman sombre, maîtrisé, très éloigné des poncifs généralement associés au genre. L'exercice était casse-gueule, dans la mesure où la frontière entre littérature adulte et littérature jeunesse reste mince, mais Fabrice Colin s'en sort avec talent, tout en s'offrant le luxe de faire souffrir ses lecteurs avec un to be continued du plus bel effet. Car, oui, La Fin du monde appelle une suite, prévue pour… bientôt. En attendant, adultes et adolescents peuvent s'attaquer au roman sans arrière-pensée, tant l'ensemble tient la route : ici, pas de manichéisme excessif, pas de simplification outrancière, mais plus une « adultisation » du texte, reflet d'un monde agonisant. Partant du principe que les jeunes (pour faire large) ne sont ni naïfs, ni stupides, Fabrice Colin distille son histoire apocalyptique avec un réalisme inquiétant. Certes, on suit le parcours de plusieurs adolescents liés entre eux par les hasards de l'existence — un point de départ ô combien classique — mais ce cliché tout relatif s'arrête là. Un jeune bourgeois parisien bien dans ses pompes, mais opposé à tout rapport sexuel avec sa copine pour des raisons religieuses même pas intégristes, un fils de médecin chinois extraordinairement doué pour les échecs, une ex-martyre palestinienne installée au Caire, un fils de sénateur américain, autant de presque adultes qui vivent leur vie de leur côté, sans qu'a priori rien ne les réunisse. Sauf que World of Warcraft en lie plusieurs, que le père de l'un soigne la mère de l'autre et en tombe irrémédiablement amoureux, malgré le cancer, qu'un autre père a une dette envers la jeune martyre (ou une mission ?), bref que le miracle de la mondialisation réussit à mettre en rapport des gens qui, vingt ans plus tôt, ne se seraient jamais rencontrés. Des vies, donc, bien entamées et déjà débarrassées du soleil de l'enfance. L'histoire ne s'arrête évidemment pas là ; la Chine décide d'en finir avec les Etats-Unis, et pour ça, rien de tel qu'une ogive nucléaire. On s'en doute, les bombes pleuvent, le monde s'écroule, et voilà nos héros embarqués dans une histoire qui les dépasse, à la recherche d'un abri mythique situé au Groenland, dernière poche de civilisation sur une planète dévastée. De cette quête, Fabrice Colin se tire admirablement bien, notamment en s'intéressant de plus près au jeune chinois qui traverse l'Asie lors d'un voyage au bout de l'enfer très personnel et d'une brutalité à faire peur. Si La Fin du monde s'arrête là, c'est évidemment pour laisser place à la suite. Une suite qu'on attend avec impatience, preuve que l'auteur a réussi son coup.


 

Patrick IMBERT

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