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Les critiques de Bifrost

L'Ombre dans la vallée

L'Ombre dans la vallée

Jean-Louis LE MAY
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
272pp - 26,00 €

Bifrost n° 66

Critique parue en avril 2012 dans Bifrost n° 66

Avec ce cycle des Barounaires, en dépit de mots dans la langue chantante du cru, Jean-Louis Le May nous livre un sauvage Mad Max provençal.

De même, un autre constat : Le May est un auteur de droite. Il n’est pas un de ces libertariens controversés comme le furent Heinlein, par exemple, mais il est néanmoins un humaniste et un progressiste. Peut-être cela n’est-il jamais affirmé avec autant de force que dans ce diptyque des Barounaires. Le May a été un militaire et un soldat qui semble s’être battu ; cette expérience éclaire l’œuvre qui en porte la marque. Il exalte des valeurs telles que le courage, la compétence, l’esprit d’équipe et le sens du devoir, mais, bien que la part belle soit laissée aux combats, jamais on ne verra le moindre militarisme va-en guerre. On cherchera à épargner ce bien précieux qu’est la vie, fut-ce celle de l’adversaire. Le May est également un farouche pourfendeur des traditions rigides et figées, souvent meurtrières, qui subsistent alors que les raisons qui sont à leurs origines ont elles-mêmes disparu. Les femmes, chez Le May, sont toujours dotées de caractères bien trempés, de fortes personnalités, souvent dominantes mais jamais dominatrices, et armées de solides compétences. Angélique en est un bon exemple. Tout cela est omniprésent dans ce diptyque.

La richesse particulière de L’Ombre dans la vallée tient peut-être à la présence d’un beau salaud — denrée rare chez l’auteur — qui se dévoile petit à petit. Le May, bien sûr, n’est pas socialiste ! Chez lui, la société est là pour apporter du mieux aux individus et ceux-ci ne sont pas au service de celle-là. Par contre, l’individualiste égoïste incarné par Barba Ammoun est bel est bien le méchant. Les bons, c’est du côté des forces de l’ordre qu’il faut les chercher : Francès Filhol, le régulier (sorte de gendarme), les maires de hameaux, mais aussi les chefs de gang qui entendent jouer la musique sur le même ton.

Quelques décennies après l’effondrement de la société de consommation, lors d’une apocalypse dont on ne saura rien si ce n’est qu’elle laisse la mer sans vie et que les militaires n’y sont pas étrangers (une triple coquille à la fin de la première partie transforme le slogan « A bas l’armée » en « A bas l’année » dépourvu de sens), un semblant d’organisation s’est reconstitué autour de la forteresse. Plusieurs éléments donnent à penser qu’il s’agit de la région niçoise. Quatre clans de barounaires (voyous) règnent sur les ruines de la cité. Les Véloces (qui vont à vélos), les Mobs (en Mobylettes), les Drags (de dragsters, en motos) et les Caisses (en tires, pardon, en automobiles), tous se tirent dans les pattes et se livrent à une âpre guerre des chefs pour des raisons de préséance et d’honneur quand bien même leur temps serait compté. Ces sanglantes rivalités sont attisées par Barba Ammoun, qui y gagne profit et pouvoir en bouffant à tous les râteliers. Mais voila que la petite vérole s’en vient bousculer ce « bel » état des choses…

Même si on échappe au pire, si, pour éviter la complaisance, Le May dit plus qu’il ne montre, le livre reste d’une extrême violence et renvoie Mad Max au rang d’œuvrette pour boy-scouts. Au bout du compte, on ne fait que frôler l’inceste, mais le cannibalisme est la règle et le viol une habitude… Quant au savon…

Les Mobs et les Drags chers à Barba Ammoun règlent des comptes féroces. Les Caisses se voient attaquées et contaminées par des Véloces de toutes façons foutus et vérolés, tandis que les réguliers du maréchal Troussadouilla décident de flinguer et de cramer tout ça pour contenir l’épidémie. Mais les Caisses optent pour une sortie autrement grandiose, au grand dam de Filhol, consterné, qui les avait plutôt à la bonne, et que Barba Ammoun passe complètement de l’autre côté du cheval…

D’un livre à l’autre, ça change. Et cette fois, l’illustration est si moche que j’ai l’impression de l’avoir dessinée moi-même. Quelques coquilles malheureuses. Une postface contestable. Une bibliographie hasardeuse. Voila pour les moins. Autant dire qu’ils pèsent peu en regard de la nécessité qu’il y avait à rendre justice à Jean-Louis Le May en lui offrant la place qui lui est due au sein d’une belle collection (quoique hors de prix : 26 euros pour 260 pages, quand même…). Si l’on pouvait naguère avancer l’excuse d’un Fleuve Noir « Anticipation » par trop populaire pour faire l’impasse sur ce Le May, cette réhabilitation chez l’un des meilleurs éditeurs du moment est une garantie plus que suffisante pour considérer la réitération de l’impasse comme une faute. A découvrir, à redécouvrir ou à relire.

Jean-Pierre LION

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