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Les critiques de Bifrost

L'Homme transformé

L'Homme transformé

Orson Scott CARD
L'ATALANTE
272pp - 15,50 €

Bifrost n° 16

Critique parue en décembre 1999 dans Bifrost n° 16

 Enfin est traduite en français la presque-intégrale des nouvelles de Card parue en 1990 sous le titre « Maps in a mirror » — les « Portulans » du sous-titre — , et il faut féliciter l'Atalante pour l'initiative. Le lecteur assidu de Card (ou des petits caractères en début de volume) notera bien sûr que quelques textes recoupent des recueils parus il y a longtemps chez Denoël, Card ayant procédé à un redécoupage thématique de l'ensemble de ses nouvelles.

Il distingue quatre livres consacrés respectivement aux « récits d'angoisse », de « futurs humains », aux « fables et fantasmes », et finalement aux récits de « mort, amour et sainteté ». En termes de division par genres, on penserait à l'horreur, à la SF, à la fantasy, et aux histoires à thème religieux. Sauf que tout cela s'entremêle dans l'oeuvre de Card, et que la plupart des nouvelles présentées (et au moins quatre des onze du présent volume) utilisent l'attirail de la SF. Le découpage est plus fonction des émotions évoquées chez le lecteur — et Card sait s'y prendre pour les rendre intenses, et féroces, mettant souvent en scène une grande violence physique ou émotionnelle.

Card fut au début de sa carrière un prolifique nouvelliste, et l'ensemble des « Portulans » est dominé (en quantité) par la période 1977-1981. Mais pas nécessairement en qualité — après des débuts foudroyants, Card a connu succès commercial et sévérité des critiques. La récession de l'édition l'a conduit à devenir au cours des années 80 salarié d'une entreprise de logiciels. D'où des à-coups, et des changements de cap, dans sa production. Une partie de ces événements sont retracés dans « Enfants perdus », dont les personnages sont Card lui-même et sa famille. Publié en 1989, ce texte (qui a enfanté un épais roman du même titre, Lost Boys) domine toutes les autres nouvelles du recueil, antérieures à 1981. Et il avait causé une polémique à sa parution, à cause du mélange inquiétant entre vie privée et invention littéraire. Une histoire de fantômes dont on ne sait pas qu'ils le sont… qui justifie à elle seule l'achat du recueil.

Ce qui ne signifie pas que le reste soit inutile. D'abord pour la postface, bourrée de détails sur la genèse de chaque texte. Fascinants aperçus du processus de création de Card. Mais nécessairement incomplets ; comme l'auteur lui-même le dit très justement, « J'en suis venu à considérer que le meilleur d'un auteur1 provient, non pas de ses idées conscientes, mais des impulsions et de ses bévues » (p. 252). C'est vrai pour tout écrivain, mais encore plus pour Card, qui écrit des histoires de péché et de châtiment dans lesquelles le péché et les pécheurs sont souvent les éléments les plus prenants. Prenons par exemple deux des textes forts du volume, « Les Euménides dans les toilettes du quatrième » et « Les chants du sépulcre ». Dans le premier, dont on peut regretter qu'il n'ouvre pas ici le livre comme c'était le cas dans l'édition originale, un homme est puni pour ses actes sexuels envers sa fille adolescente2. Dans le deuxième, un psychothérapeute tombe amoureux d'une adolescente gravement handicapée (elle a perdu ses quatre membres) qui imagine un dialogue télépathique avec un pilote de vaisseau spatial. Ou est-ce seulement son imagination ? Peu importe, car la focalisation émotionnelle est sur cette relation presque aussi incestueuse (certes platonique), mais pas d'une nature différente de celle qui est châtiée dans « Les Euménides… » Et ça, Card ne l'a sans doute pas tramé consciemment.

Peurs, mais aussi inquiétudes et frustrations (suis-je un mauvais écrivain ? Pourquoi suis-je obèse ?) se retrouvent de façon plus ou moins ouvertes, plus ou moins crédibles dans le reste de ce recueil, qui n'est jamais ennuyeux (à la différence des suites gonflées de certaines séries), et finalement très varié dans ses situations. Ne manquez pas ce recueil, et n'oubliez pas les suivants, surtout le quatrième.

Notes :

1. En fait, Card utilise le mot « storyteller », qui a des connotations bien différentes et correspond à « raconteur ».

2. Notons à ce propos que la traduction omet une phrase-clé : p. 67, à la fin du troisième paragraphe, après « Et le visage de Rhiannon » (qu'il vient de dessiner), il y avait dans le texte original « Mais pour sa fille Rhiannon, il ne put pas s'arrêter au visage ».

Pascal J. THOMAS

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