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Les critiques de Bifrost

L'Héritier de Clamoria

L'Héritier de Clamoria

Benedict TAFFIN
ÉDITIONS DU 38
244pp - 15,00 €

Bifrost n° 85

Critique parue en janvier 2017 dans Bifrost n° 85

À première vue, L’Héritier de Clamoria, troisième roman de Benedict Taffin, relève d’une science-fiction on ne peut plus old school : aventuriers de l’espace, courses-poursuites d’un monde à l’autre, sauts dans l’hyperespace et combats à grands coups de laser : nous nous trouvons en territoire connu de longue date. Mais si l’auteur embrasse avec une certaine délectation la plupart des stéréotypes du genre, il en est un, au contraire, qu’elle choisit de prendre à rebours : celui de la répartition des rôles entre hommes et femmes. C’est ainsi qu’échoit à Akatz Ielena, créature mi-humaine, mi-féline, le rôle de la baroudeuse intrépide, tandis que son assistant, Isidore Laime, endosse celui de l’ingénu de service, nunuche aux pires moments et cible de la concupiscence de la plupart des dames qu’il lui est donné de croiser.

Certes, il est permis de s’interroger sur la pertinence d’un tel choix dans le cadre d’un récit de science-fiction, tant il y a belle lurette que ces demoiselles ont cessé de jouer les victimes effarouchées face aux pseudopodes libidineux de quelque monstre aux yeux pédonculés et repris les choses en main (Coucou Ripley ! Hello Sarah Connor !). Mais L’Héritier de Clamoria assumant pleinement son côté résolument pulp, l’inversion des rôles fonctionne bien et donne souvent lieu à des échanges savoureux, plus encore lorsque Polaris, IA de sexe masculin aux commandes du vaisseau d’Akatz et on ne peut plus jaloux d’Isidore, vient mettre son grain de sel.

Benedict Taffin creuse le même sillon en situant l’action de son roman sur la planète Clamoria, gynocratie aux méthodes proches de l’Apartheid, où les hommes sont parqués dans des quartiers en périphérie des grandes villes. Une telle organisation de la société soulève nombre de questions que le récit élude trop souvent (le sujet de la sexualité par exemple est à peine abordé, si ce n’est du point de vue de la procréation), mais elle fournit néanmoins le moteur principal de l’intrigue : l’enlèvement du fils unique de la souveraine de Clamoria, centre d’intérêt de toutes les factions en présence, qu’elles l’envisagent comme une menace pour les fondements de cette société ou au contraire comme la promesse de nouvelles perspectives.

Sur la forme, L’Héritier de Clamoria se présente comme une enquête policière linéaire et classique, entrecoupée de quelques scènes d’action bien menées. Selon ses attentes, on sera amené à considérer le roman comme un space opera distrayant et enlevé, sachant tirer de son contexte une bonne part de sa singularité, ou regretter que l’auteure n’ait pas suffisamment développé les éléments sociaux et politiques qui parsèment son récit. Dans tous les cas, il confirme que Benedict Taffin a le souffle et le talent pour tenir son histoire de bout en bout, ce qui, pour ceux qui ont lu ses précédents romans, n’a rien d’un scoop (on se souvient de ses Yeux d’opale, chez Gallimard Jeunesse).

On trouvera en bonus dans ce volume la réédition de deux nouvelles dont l’action est antérieure à celle du roman. « Werlacht » met en scène la première rencontre entre Akatz et Isidore, aux prises avec une IA devenue folle, tandis que « Bulle de bonheur » voit sa traque à la criminelle galactique s’achever dans un monde où tout n’est que bonheur et sérénité. Pas de la grande science-fiction, certes, mais un plaisir de lecture à ne pas bouder.

Philippe BOULIER

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