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Les critiques de Bifrost

L'Anaconda

L'Anaconda

Matthew G. LEWIS
FINITUDE
128pp - 14,50 €

Bifrost n° 85

Critique parue en janvier 2017 dans Bifrost n° 85

À maints égards, l’Anglais M.G. Lewis est l’homme d’un seul livre, le roman gothique Le Moine, dont le succès a été tel qu’il y a gagné le surnom de « Monk Lewis »… On lui doit pourtant d’autres œuvres, parmi lesquelles un recueil intitulé Romantic Tales, en 1808. C’est de ce recueil qu’est extrait le présent texte, jamais réédité en France depuis 1822. Les éditions Finitude nous le livrent aujourd’hui dans un petit ouvrage fort joli (mais sans doute un peu cher…), bénéficiant d’une nouvelle traduction.

Le mot même d’« anaconda » figurait alors encore plus qu’aujourd’hui une incarnation ultime de l’exotisme, avec des oripeaux de légende. On le connaissait fort mal, à vrai dire… Et le cadre même du récit témoigne de ces hésitations : en fait, il n’y a pas d’anacondas à Ceylan… Mais les confusions en la matière ont eu la vie dure. Et peu importe : il s’agissait de dépayser le lecteur, et de lui procurer de délicieux frissons pouvant emprunter à la manière gothique, tout en bénéficiant d’un cadre autrement exotique que la vieille Europe des « romans noirs ». Pourquoi pas ? Que Lewis n’ait (alors) jamais mis les pieds à Ceylan n’était en rien un problème – à tout prendre, ses lecteurs non plus…

De toute façon, il s’amuse… C’est tout particulièrement sensible dans les premières pages où, bien loin de Ceylan, nous débutons l’histoire dans un salon anglais feutré et élégant. Introduction qui ne manque pas d’humour, et la satire sociale est de la partie, qui s’exprime à plein dans ce cercle avide de ragots scabreux… tout droits sortis de l’imagination de quelque romancier gothique ! On y jase sur la très suspecte fortune que le jeune Everard Brooke a soudainement acquise lors d’un séjour à Ceylan… Cela va très loin : on l’accuse bientôt de meurtre ! Or c’est bien du futur mariage du jeune homme que l’on débat – oserait-on livrer sa fille à pareil monstre ? La suspicion s’accroît, et « l’aventurier » est sommé de s’expliquer…

Scandalisé, il entend dénoncer la perfide rumeur ! Mais son récit est pour le moins inattendu, impliquant donc le fameux serpent géant… Le rapport paraît lointain, c’est peu dire ; mais Everard explique comment la demeure où il résidait a subi les assauts d’un de ces redoutables reptiles mangeurs d’hommes – la créature assiégeant le maître de maison, Everard, n’écoutant que son courage, et accompagné du dévoué esclave indien dudit, vole au secours du vieil homme…

L’anaconda décrit par Lewis est certes monstrueux – pour autant, il n’a en fait rien de surnaturel. Nul fantastique ici ; l’anaconda de Lewis n’a rien d’un King Kong, il évoque bien davantage, en lointain précurseur, le requin des Dents de la Mer

Étonnant contraste avec l’introduction salonarde – on n’y revient que pour une brève conclusion, aussi convenue que vous pouvez le supposer. Le mélange de satire sociale et d’aventure coloniale imprégnée d’horreur n’est sans doute pas d’une cohérence à toute épreuve, mais le résultat est plaisant. L’ouvrage étant par ailleurs assez joli, avec son papier épais et sa noire frise reptilienne reprise à chaque page, on pourra y trouver son compte. Mais si c’est plaisant, c’est tout de même fort dispensable – une sympathique curiosité, disons.

Bertrand BONNET

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