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Les critiques de Bifrost

Kathleen

Kathleen

Fabrice COLIN
L'ATALANTE
312pp - 18,50 €

Bifrost n° 43

Critique parue en juillet 2006 dans Bifrost n° 43

Kathleen, trois récits, trois périples qui jalonnent ce beau texte.

D'abord : l'histoire de Louis, enfant du début du XXe siècle, partagé entre l'amour de sa mère et la rudesse de son père, perturbé par les difficultés que rencontrent ses parents dans leur couple, incommunication, jalousie, folie. Ensuite : Charles, fils du premier, photographe, en quête de l'histoire de ce père qu'il n'a jamais réussi à cerner ; histoire qui lui échappe car Louis souffre de la maladie d'Alzheimer en phase terminale et les seuls repères de Charles sont fournis par un journal intime parcellaire, irréel, où son père raconte son expérience au sein d'une communauté dirigée par un gourou excentrique et sa rencontre avec Catherine Mansfield, Kathleen. Finalement : la voix intérieure de Louis, récit introspectif rendant tangibles dans le fantasme les peurs, doutes et recherches personnelles de ce père qui n'est jamais parvenu à savoir qui il était en tant qu'humain.

Le roman de Colin est une lente recomposition des psychés d'un père et d'un fils ; récit introspectif pour le père, pseudo-biographie et recherche initiatique pour le fils, chacun des récits aborde les mêmes thèmes, principalement la connaissance de soi, l'élaboration du moi dans un monde où les repères tombent en déliquescence. Kathleen est une quête de sens à différents niveaux — psychologiques, philosophiques, humains — et sous différentes formes — scripturales, visuelles. D'une extrême finesse dans son approche psychologique, Colin fait se côtoyer des situations dures et pénibles, des éclairs de beauté et la cruauté de l'esprit humain lorsque celui-ci doit se (re)construire. L'écriture, quant à elle, transcende souvent le roman ; les discours introspectifs atteignent des profondeurs abyssales, traversées d'images sensorielles et psychanalytiques. Le roman est à l'image de ses personnages, une recherche formelle, une recherche de sens au sein même de ses lignes, paragraphes et chapitres. Il y a de très belles échappées, notamment lors des chapitres qui allient plusieurs niveaux discursifs et visuels, retranscrivant le discours de Louis, son introspection et les paroles d'une hypothétique Kathleen. Dans ces moments, le récit introspectif est ce qu'il y a de plus sûr, de plus tangible, alors que les extraits de paroles qui essaiment les marges sont comme ces sons que le noyé entend du monde au-dehors de l'eau.

Kathleen est donc un texte maîtrisé dans la forme, avec une belle idée sensitive, mais qui pêche parfois par intellectualisme. Devenant à certains endroits une véritable antithèse, la forme textuelle dessert le fond de celui-ci. C'est un paradoxe sur lequel le texte s'est enfermé : la complexité de la forme, des points de vue et des modes narratifs qui, au lieu d'apporter du sens, brouille parfois totalement le message. Le roman pêche par ses propres armes. La complexité de la construction, l'écriture et, surtout, les théories vides de sens qui elles-mêmes influencent les modes d'écriture auraient dû se retrouver dans un contrepoint final. Pourtant, le livre n'arrive pas à s'échapper de ce qui est soutenu dans la narration, le vide de l'existence, le vide des théories fumeuses, le vide des choses simples. Ajoutons encore que certains effets sont plus proches d'une recherche purement esthétique, par exemple la présence de photographies ou de dessins qui n'apportent rien à la lecture du texte, voire même détournent l'attention. Tout cela est d'autant plus frustrant que le livre tente d'exposer la simplicité de la vie.

La fermeté de la critique est à la mesure de l'ambition de ce roman et de ses fulgurances : que cela n'empêche aucune personne éprise de littérature d'aller se plonger dans ce grand maelstrom de phrases, de sentiments et de psychés.

Frédéric JACCAUD

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