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Les critiques de Bifrost

Je chante le corps électrique

Je chante le corps électrique

Ray BRADBURY
DENOËL
8,20 €

Bifrost n° 72

Critique parue en octobre 2013 dans Bifrost n° 72

Je chante le corps électrique, titre tiré d’un vers de Walt Whitman, est un recueil hétéroclite, tant au niveau des genres qu’il propose que dans ses thèmes. Et pour cause, puisqu’il est constitué de nouvelles écrites entre 1948 et 1969, pour certaines inédites, ou publiées dans des revues aussi diverses que Playboy, Famous Fantastic Mysteries, Super Science Stories ou encore Life.

L’auteur a affirmé qu’il n’écrivait pas de science-fiction (à part son roman dystopique Fahrenheit 451). Ce recueil est pourtant la preuve qu’il a consacré un bon nombre de textes courts au genre. Les deux exemples les plus flagrants sont les nouvelles « Je chante le corps électrique » et « L’Enfant de demain ». Dans cette dernière, il imagine qu’un bébé est né dans une autre dimension à cause d’une machine à accoucher défectueuse (encore cette méfiance à propos de la technologie, récurrente dans ses écrits) et est perceptible dans la nôtre uniquement sous la forme d’une pyramide bleue. A travers la nouvelle « Je chante le corps électrique », Bradbury délivre d’ailleurs un message central dans son œuvre, et pour une fois d’une manière presque positive : le progrès technologique ne peut être bénéfique à l’humanité que s’il est bien employé. C’est le cas dans cette histoire de perte irréparable : une mère décède, laissant derrière elle son mari et ses trois enfants. Ils décident d’acquérir une grand-mère électronique qui adoucira leur vie. Ce texte a fait l’objet d’une adaptation dans la série La Quatrième Dimension.

Généralement, quand l’auteur écrit sur la technologie, ses récits se révèlent très pessimistes. Dans « A la recherche de la cité perdue », des hommes se retrouvent à la merci d’une ville martienne ultratechnologique abandonnée. Ses concepteurs ont été trop loin et semblent avoir été dépassés par leur création.

A côté de ces mauvais choix technologiques, le quotidien et l’humain restent deux des sources d’inspiration les plus fortes chez Bradbury : il conte la fin d’une petite ville, privée de ses commerces à cause de la construction d’une autoroute quelques centaines de mètres plus loin dans « Oui, nous nous rassemblerons au bord du fleuve », le road-trip d’une famille dans l’Amérique en récession de 1932 dans « La Prophétesse de basse-cour ». C’est un recueil un peu fourre-tout dans lequel l’auteur nous parle aussi du rapport de l’écrivain à ses lecteurs grâce à sa nouvelle « Retour au Kilimandjaro » sur Hemingway, d’une Angleterre désertée par ses habitants à cause d’un climat trop dur dans l’absurde « Henri IX », d’un automate plus vrai (et surtout plus mort) que nature dans « La Seconde mort d’Abraham Lincoln », du mythe de la sirène dans « Femmes », de son attachement à Mars dans deux textes. Il aborde aussi un sujet rare dans ses récits : l’homosexualité, dans la nouvelle « Du Printemps dans l’air », et ce d’une manière très tolérante… Bradbury passe d’un thème à l’autre, comme d’un genre à l’autre, avec une facilité déconcertante.

Finalement, Je chante le corps électrique s’avère un recueil foisonnant. Il contient à la fois des textes incontournables, essentiellement dans le registre de la SF, et d’autres moins marquants, mais la qualité d’écriture, l’imagination et la poésie sont toujours au rendez-vous.

Laurinda

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