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Les critiques de Bifrost

Jakabok : Le démon de Gutenberg

Jakabok : Le démon de Gutenberg

Clive BARKER
DENOËL
224pp - 19,00 €

Bifrost n° 58

Critique parue en avril 2010 dans Bifrost n° 58

Il est peu de dire qu'il y avait comme une attente autour de ce Jakabok. À cela une double raison : l'immense talent de Barker, évidemment, créateur multigenres et multicartes (littérature, BD, peinture, cinéma, conception d'attractions foraines et on en oublie…), et aussi le fait que nous étions restés sur une impression mitigée à la lecture de Coldheart Canyon, son dernier roman adulte (critique in Bifrost n°38), paru en France en 2004 — soit six années derrière nous, ce qui fait tout de même un bail —, livre imposant émaillé de vraies fulgurances mais aussi de longueurs éreintantes. Ainsi donc Clive Barker, l'enfant terrible des littératures de l'Imaginaire anglaises, nous revient-t-il enfin, chez Denoël, et ce avec un livre (surprise !) court pour le moins… Alors ?

Jakabok nous narre, à la première personne du singulier, s'il vous plaît, les aventures du susnommé Jakabok Botch, démon du Neuvième Cercle. Sa vie, son œuvre, et surtout comment il quitta les Enfers et parcourut le monde, entre le XIVe et XVe siècle, en compagnie de Quitoon, un autre démon, et ce jusqu'à sa rencontre avec Johannes Gutenberg, dont l'invention semble bien partie pour provoquer l'Armageddon… Manière de roman d'apprentissage, donc, mâtiné de conte philosophique aux épisodes ayant valeur d'exemplarité, un peu à la façon d'une certaine littérature du XVIIIe. Las, Barker n'est ni Sade ni Voltaire, et ce qui commençait comme une boutade assez hilarante, notamment dans toute la partie infernale des aventures de ce héros défiguré par un père aussi démon qu'ogre, finit par lasser tant l'auteur semble tirer à la ligne et se répéter. À commencer avec le procédé de prosopopée dont il use et abuse du début jusqu'à la fin de l'ouvrage — Jakabok étant sensé être prisonnier de son propre livre, « être » ni plus ni moins que le livre lui-même, ce dernier ne cesse de s'adresser au lecteur, de le « tenter » afin qu'il brûle l'ouvrage en question et ainsi le libère.

Certes, l'humour ravageur fait parfois merveille, certes encore, on retrouve certains des thèmes chers à l'auteur d'Imajica — fascination pour la monstruosité, tant physique que morale, amours déviants, réflexions autour de la création, le héros démoniaque étant ici à la fois le sujet de l'œuvre et l'œuvre elle-même, etc. Mais si Jakabok ne se lit pas sans un certain plaisir, on n'en reste pas moins convaincu qu'il y avait là de quoi faire une nouvelle formidable et que l'auteur, étirant sa matière à n'en plus finir, en a fait un roman tout juste moyen…

Le démon Jakabok Botch se cache peut-être bien sous la couverture du présent ouvrage. Mais une chose est sûre : le Clive Barker du vertigineux Sacrements, lui, n'y est pas. Dommage. Et en attendant de voir si on le retrouvera dans les pages de son prochain recueil annoncé en VO courant 2010, on ne manquera pas de se précipiter sur la toute récente réédition du Royaume des devins chez Folio « SF » (tout en tachant de faire fi de sa couverture immonde, comme il se doit). Croyez-moi, il y a là de quoi oublier la présente déception…

Olivier GIRARD

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